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samedi 9 avril 2011

Le programme économique du FN, l' Etat, la Nation et la possibilité révolutionnaire.


Passons sur le côté "amusant" de la présentation du programme économique du Front National, avec hauts-fonctionnaires anonymes, et tout le tremblement, légitimé par la "persécution" dont les militants frontistes seraient l'objet.

Rentrons dans le vif du sujet: le politique.

C'est amusant aussi, notez bien. Amusant de constater que, pour un parti dont le nouveau credo semble être de vouloir redonner la première place au politique, le passage obligé est celui de la "crédibilité économique" selon la plus pure tradition bourgeoise.

Comment faire la démonstration inverse de ce que l'on prône, donc.

On commence par dévoiler un "programme économique". Pas un programme politique.

En cela, le FN ne présente strictement aucune différence avec les partis institutionnalisés bourgeois, qui servent le capitalisme, directement ou indirectement.

Et un programme fabriqué en partie par un énarque, actuellement en poste, si on en croit l'article du Parisien, à ...Bercy! On a vu mieux comme révolution populaire, que d'employer les services de ces cerveaux formatés à servir l'Etat bourgeois à l'ENA....

Mais passons, donc.

Comme presque tous les autres partis politiques, le programme économique présenté par le FN a d'abord vocation à attirer les fameuses "classes moyennes" (l'autre nom pour ce nous appelons nous, la "petite-bourgeoisie"). Ca marchera sans doute en partie, compte tenu des circonstances.

La critique principale que je vais faire aujourd'hui (j'en ferai sans doute d'autres par la suite) me semble tout sauf anecdotique.

Elle a trait à la conception de l'Etat et de la société qui rend possible toute la construction du programme économique du FN.

Cette conception, c'est celle de l'Etat dit régalien, jacobin et centralisé.

Cette conception, elle n'est appuyée que sur une seule jambe qui s'appelle la "souveraineté nationale". Coupez-la lui, et tout s'écroulera.

Problème pour le FN: ce sont les masses qui font l'histoire, et il faut faire avec.

Or les masses, même si elles le regrettent peut-être aujourd'hui (mais, à supposer que regret il y ait, regretter est une chose, vouloir faire "machine arrière" en est une autre, et pouvoir faire "machine arrière" encore une autre), elles ont décidé, il y a de cela un moment déjà, que de la Nation, de la souveraineté nationale, et de l'Etat jacobin, elles n'en voulaient plus, que cela plaise ou pas, et quels que soient les "dommages collatéraux" que ces décisions ont coûté - en premier lieu et presque exclusivement, pour les auteurs de ces décisions eux-mêmes.

Ces décisions ont été prises, et entérinées à plusieurs reprises, que ce soit en portant au pouvoir des socio-démocrates (ou des libéraux-sociaux), ou des libéraux "tout court" (les deux pôles principaux de l'alternance politique sous la 5ème république) pour des raisons qui ne sont pas exclusivement (loin de là) des raisons économiques. Il y a d'autres visages de ces décisions (dans les syndicats notamment). Mais je m'en tiendrai là, pour ne pas alourdir le propos.

Elles ont été prises parce que, pour plusieurs raisons, non seulement le peuple n'a pas lutté contre la mondialisation mais encore, il l'a accompagnée et même à un moment, majoritairement souhaitée (même s'il n'en a pas souhaité évidemment, les résultats, qu'il subit de plein fouet chaque jour).

Évidemment, ce que le peuple a souhaité au fond, avant toute chose, ce n'était pas les délocalisations, les licenciements, la perte du pouvoir d'achat, la précarisation, la coupe permanente dans les budgets de l'Etat au nom de la sacro-sainte réduction de la dette publique imposée par Maastricht...

Ce qu'il a souhaité, (parce que c'est ce qu'on nous a vendu avant tout), c'était la libre circulation des personnes et des biens , une monnaie forte et une économie assainie. Une nouvelle forme de sécurité en somme: la paix entre des hommes débarrassés de leurs oripeaux nationaux et un Etat protecteur qui ne soit plus soumis au diktat des financiers via la dette publique.

Souhaitant cela, et le mettant politiquement en œuvre par différents moyens, le peuple n'a pas forcément vu ou compris la polysémie de ces notions et ce qu'elles pouvaient entraîner comme effets pervers dévastateurs de nos vies. A moins que (hypothèse que je privilégie) l'ayant pressenti, son désir de se libérer des frontières , de la nation... son désir, finalement, de paix et de liberté, ait été plus fort que toutes ses préventions.

D'aucuns peuvent en arriver à regretter plus ou moins secrètement que le peuple, ce peuple que certains membres d'auto-proclamées "avant-gardes" jugent inculte, stupide, ignorant, soit doté de tels pouvoirs, soit doté du droit de s'exprimer, à travers le vote, la grève ou les manifestations, soit du doté du pouvoir de prendre part, même un peu, aux décisions qui président à sa propre destinée.

Mais la question n'est pas de savoir, ni de dire aux masses (masses dont, au moins en théorie, tout militant communiste est et doit se revendiquer fièrement) si elles ont eu raison ou tort de clore ce chapitre initié en France en 1789, mais bien de faire de la politique avec ce que des décisions "démocratiques" ont amené ici et là, bon et mauvais ensemble, et la transformation profonde qu'elles ont apportée aux instruments politiques traditionnels.

Lire la France d'aujourd'hui avec des lunettes construites sur la base de 1789 et remodelées dans les années 50 (mais guère plus), c'est prendre le risque de la myopie aiguë. Le FN n'y échappe pas plus que les autres en refusant aussi ouvertement de partir de la réalité pour se (re)bâtir.

De quoi nous parle, en gros, ce programme économique qui a été présenté?

Il parle de "nationalisations". De "patriotisme". De "frontières". De "centralisme"...

Il nous parle d'un Etat que la majorité des habitants de ce pays aujourd'hui ignorent, voire, rejettent, pour des raisons diverses. Cet Etat, c'est l'Etat régalien devenu Etat policier au service quasi-absolu du capitalisme, et principalement, de sa forme impérialiste.


Ce faisant, le FN est doublement à côté de la plaque.

Une première fois parce que rien ne dit que, même regrettant leurs décisions d'autrefois, les masses voudront et feront effectivement "machine arrière". Une seconde fois parce que la position tenue par le FN est à l'exact opposé de ce que produit ce moment de la lutte des classes dans et sur cette chose étrange qu'on appelle "Etat". Le FN propose une chose irréalisable. Tant économiquement que politiquement.

Irréalisable économiquement parce que irréalisable politiquement.

Irréalisable politiquement parce que à contre-courant de l'Histoire pour des pays comme la France qui ont fait, il y a longtemps, leur révolution nationale, et qui doivent désormais à toute force, passer à autre chose, entamer une nouvelle révolution, qui consiste principalement à dépasser ce qu'a enfanté 1789, à le dépasser en achevant de le détruire pour pouvoir créer "autre chose".

C'est là qu'apparaît la nature profondément conservatrice, réactionnaire et infantile du FN, à l 'opposé de l'image révolutionnaire et populaire qu'il veut se donner.

C'est sa conception de l'Etat et de la société (et de l'économie) qui explique, contre toutes les fausses prédictions qu'on nous a assénées pendant plusieurs semaines, qu'en dépit du fabuleux coup de pouce médiatique qu'il a reçu, il se soit finalement autant planté que les autres aux dernières cantonales (et sur ce point fondamental, qui ne peut souffrir de discussions oiseuses, je renvoie à l'excellent travail de démystification par la raison qu'a réalisé notre ami et camarade Charles Hoareau ici ), même si, du fait de l'abstention, il a obtenu un score de votes exprimés satisfaisant qui lui permet (avec la complicité honteuse de la majorité de la classe politique et de nombreux éditocrates) de faire croire à une victoire.

J'ai déjà eu l'occasion plusieurs fois de m'exprimer sur ce que je pensais de la Nation comme concept politique, notamment (mais pas seulement) pour des communistes du 21ème siècle, concept dont je pense démontrer qu'il n'est plus d'actualité dans nos combats parce qu'il ne recouvre plus de réalité tangible et que, dans le contexte actuel de la lutte des classes et de la mondialisation, le maniement de ce concept, loin de pouvoir protéger les masses laborieuses, les enferme, les prive de ce qu’elles doivent devenir, les prive d'un travail d'émancipation vers la souveraineté populaire au profit d'une souveraineté nationale qui ne fera plus jamais "leur bonheur", et donc, les désarme complètement.


Pour ces raisons, qui ne sont ici que très résumées et simplement esquissées, qui demanderont des développements ultérieurs, en tant que communiste dont le souhait est et reste l'émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes et le dépérissement de l'Etat jusqu'à sa disparition, je ne peux pas considérer comme un avis valable que le programme du FN serait susceptible d'être taxé de programme "de gauche", ou de programme socialiste.

Oh bien sûr, si l'on entend par "de gauche", ou "socialiste" la bouillie infecte faite d'une pincée de dirigisme par-ci et d'une poignée de libéralisme par là saupoudrée d'un peu de contractualisme, que nous servent depuis 40 ans le PS et ses alliés, alors là, en effet, il risque d'être difficile pour les soi-disant gens "de gauche" de se dépatouiller du piège que le FN tente de refermer sur eux. Encore une fois, face au risque fasciste, une bonne partie de la petite-bourgeoise se fera dévorer toute crûe.

Non, la position anti-raciste ne suffira pas à départager les uns et les autres car le racisme, n'en déplaise à certains, n'est aujourd'hui pas beaucoup plus fréquent chez les "gens de droite" qu'il n'est chez les "gens de gauche" (car les gens de droite ne sont pas tous des bourgeois et les gens de gauche ne sont pas tous des ouvriers). C'est, je pense, une des choses hélas, les mieux partagées au monde, qui, comme disaient Balibar et Wallerstein, tient lieu en quelque sorte de mémoire collective quasi-universelle et dont, même dans une société communiste, il sera difficile sans doute, de se débarrasser complètement.

Je ne dis justement pas cela parce que les "nationalisations" que propose le FN seraient en soi différentes (parce qu'émanant du FN) de celles que proposeraient d'autres partis, plutôt "de gauche". Non.

Une nationalisation est une nationalisation, pour le FN comme pour le PS . Même si l'on a vu en 1981, entre le PS et le PCF, que les modalités de mise en oeuvre, non négligeables, des nationalisations, pouvaient diverger.

Pour faire une courte parenthèse sur cette notion de "mise en œuvre" et de politique des "petits pas", des petits gains", supposés apporter de grands pas, que l'on m'oppose souvent en prenant comme exemple le syndicalisme ("un bon syndicaliste est celui qui sait construire au quotidien le rassemblement le plus large des travailleurs dans son entreprise en organisant et en participant aux combats qui permettent d'obtenir des gains apparemment petits pour pouvoir lancer des batailles sur des combats plus importants", ce qui est assez juste), je dirais simplement que, justement, si le syndicalisme est politique, le politique lui, ne peut pas, ne doit pas être syndicaliste. Là où le syndicalisme est de terrain, où il est pragmatique, là où il est quotidien, le politique, lui, doit viser l'horizon et les vastes étendues, le politique est sans limite de date. C'est dans les limites du syndicalisme que git la possibilité politique, qui est constituée du rapport dialectique entre la théorie et la praxis dans la lutte de classe. Je ferme cette parenthèse.

Une nationalisation est une nationalisation. Comme l'Etat est l'Etat, pour les uns ET pour les autres (et il faut être fou pour continuer de définir l'Etat bourgeois comme une sorte de véhicule dont la nature et la substance changerait en fonction de qui les élections amènent aux commandes!). Le protectionnisme c'est le même, de nature, qu'il s'agisse de celui des USA ou de celui de l'UE (ou de la France, si elle sortait de l'UE). - Pour ne pas être trop longue, je renvoie sur ce point de l'analyse de ce qu'est l'Etat bourgeois aux travaux de Poulantzas, parfois insatisfaisants et incomplets mais en dépit de cela, je pense, encore uniques dans leur genre à ce stade de notre réflexion politique.

Non. Je dis que ce programme du FN ne devrait pas pouvoir être taxé de "programme de gauche" ou de "programme socialiste" s'il existait encore dans ce pays un parti de masse, un parti communiste, capable de réfléchir collectivement et de proposer des idées innovantes qui traduisent les aspirations du peuple des travailleurs.

Je dis cela parce qu'un communiste aujourd'hui ne devrait pas pouvoir raisonnablement proposer d'utiliser un instrument (les nationalisations) qui viendrait, en l'état actuel des choses, renforcer la figure exacerbée de l'Etat capitaliste actuel.

Que donneraient des nationalisations dans un Etat globalement libéralisé et dans une économie mondialisée? Elles donneraient des pouvoirs encore plus grands en période de crise aux actionnaires qui prennent le contrôle de la société anonyme "France". Est-ce par crise de "socialisme" qu'Obama a adopté des stratégies proches de la nationalisation pendant la crise aux USA? Sérieusement et évidemment, non!

Obama n'a fait qu'adopter le comportement de tout bon actionnaire majoritaire dans une telle situation pour sauver ses miches et pouvoir repartir de plus belle: il a fait ce que l'on appelle en droit des sociétés un "coup d'accordéon"! C'est à dire qu'il a restructuré le capital de sa "société" à cause d'une perte trop importante de capitaux propres.

Imaginons ce qu'aurait donné la politique du gouvernement Sarkozy-Fillion si les banques avaient été nationalisées (au sens strict)!

Aussi, et en conclusion, on ne luttera pas contre le programme du FN sans être véritablement révolutionnaire. Or, au risque de faire une lapalissade, je ne crois pas qu'être conservateur, voire réactionnaire, puisse aider à être (à devenir) révolutionnaire...

Évidemment donc, tous les partis qui continuent à se placer dans ce registre de la pérennisation de l'Etat (qu'il soit libéral , qu'il soit policier, dirigiste, ou fasciste), et en particulier, de l’État tel qu'issu de 1789 et 1945, ne pourront pas lutter contre le FN.

Ils vont se perdre dans des arguties juridico-économiques, des batailles d'experts, des myriades de chiffres... qui risquent d'avoir pour seul effet, non pas d'entraîner les foules en délire derrière eux, mais d'éloigner encore plus les masses d'eux, et des élections (ce qui de mon point de vue ne serait pas forcément un mal si autre chose se construisait autrement ailleurs, mais ne soyons pas pessimistes...).

Les masses se détourneront non par bêtise, fainéantise ou par incompréhension, mais parce qu'intuitivement, comme en témoigne l'embryon de conscience de classe qui se reforme et qui affleure dans l'abstention majoritaire, les masses désirent ardemment autre chose, même de façon "inconsciente", et il est probable que cette "autre chose" s’appelle la souveraineté populaire et la démocratie directe, donc, le début de la fin de l’État bourgeois, et peut-être même, le début de la fin de l’État tout court...

lundi 31 janvier 2011

Extraits "La crise des dictatures; Portugal, Grèce, Espagne", Nicos POULANTZAS, Maspero, 1975.

Chers amis et camarades,

Je me permets de vous adresser ces quelques extraits tiré du livre de Nicos Poulantzas "La crise des dictatures - Portugal, Espagne, Grèce", publié chez Maspero en 1975, et complètement dans l'actualité.
En fait, il aurait fallu tout recopier ou presque, mais cela m'était impossible (j'ai déjà passé tout mon dimanche après-midi à recopier tout ce qui suit pour que cela puisse circuler, nous nourrir, et faire débat).
J'ai donc fait des choix (je n'exclus pas de recopier d'autres passages plus tard avec un peu de temps) et des coupes. J'ai essayé de faire en sorte qu'en général ces "coupes" portent sur les éléments chiffrés ou factuels et de faire en sorte de ne pas "dénaturer" l'idée générale du livre, ou du passage cité.
Mais enfin, cela m'a semblé urgent de le re-publier par les voies électroniques et en accès libre, intéressant et instructif, et pas seulement pour ce que cela dit des évènements actuels en Tunisie et en Egypte bien sûr.
Mais aussi pour ce que cela dit d'une certaine manière d'analyser. De l'analyse de classes et des couches sociales ,analyse dont nous avons souvent perdu l'habitude, e
t surtout, de la méthode d'analyse et des concepts-outils utilisés; notamment la notion d'hégémonie gramscienne, travestie récemment par Sarkozy et Soral, qui était très chère à Poulantzas et sans laquelle on ne peut pas le comprendre ( le comprendre comme un "révolutionnaire véritable", lui dont les "opposants" plutôt néo-staliniens comme Balibar au sein du PCF ont si souvent disqualifié les travaux en insinuant qu'il était "réformiste " ou "social-démocrate", parce que Poulantzas n'a eu de cesse de s'interroger sur la question de la transition au socialisme...).
"Détesté" par la plupart des néo-trotskistes comme des néo-staliniens (pour des raisons évidemment différentes), Poulantzas, ( marxiste en réalité très marqué par Lénine ), que j'ai découvert avec des frissons l'an dernier, est je crois, un penseur et analyste marxiste majeur du 20ème siècle trop injustement (et malheureusement) méconnu ou méprisé dans le "mouvement communiste français".

Pourquoi "majeur"? Parce qu'il analysait des éléments économiques et politiques concrets, chiffrés même, avec des concepts et des outils mentaux "faits pour nous", mais éprouvés par l'histoire, et qu'il en tirait des "conclusions" politiques lumineuses (avec lesquelles je ne suis pas tjs en accord, je précise, mais qui ne peuvent qu'amener à des débats de qualité), pour tendre toujours vers sa voie, la nôtre, la révolution.
Ce n'était pas un idéaliste, il maniait magnifiquement, avec clarté, et intelligibilité, le rapport permanent faits/théorie/praxis. Il savait qu'on ne bâtit pas une situation possiblement révolutionnaire avec ce que l'on aimerait que les choses ou les classes soient, mais avec ce qu'elles sont en réalité dans un moment et un contexte donné et qu'il importe d'abord de pouvoir SAVOIR pour POUVOIR, comme disait Lénine. La réflexion comme guide à l'action. Sans toutefois jamais céder à la facilité répugnante qu'ont certains de "tordre la dialectique" pour en faire un prélude au renoncement et à la collaboration de classe. Il a, je crois, quelques héritiers, rares, de par le monde, mais dont les travaux ne peuvent hélas plus jouir de la même "popularisation".

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pp 37 à 44

Chap. "Les dictatures, les Etats-Unis et l'Europe"

Après ces remarques, qui visaient à la fois à montrer le primat des "facteurs internes" sur les "facteurs externes", et à baliser le rôle des contradictions internes au sein même des appareils de ces dictatures dans leur renversement ou leur pourrissement, il convient d'évoquer la stratégie propre des Etats-Unis à l'égard de ces régimes.

Là aussi, il faut se garder d'explications simplistes: tout d'abord, et c'est trop évident pour qu'on y insiste, les Etats-Unis ont systématiquement et constamment soutenu ces régimes militaires; dans le cas grec, ils ont même joué un rôle éminent dans son instauration. Mais il serait faux soit d'en tirer la conclusion que le renversement ou le pourrissement s'est fait et se fait en dépit ou contre la "volonté" des Etats-Unis, soit, à l'inverse, qu'il est fait ou se fait à l'instigation directe des Etats-Unis. En raison des circonstances dans lesquelles le changement de régime a eu lieu, cette dernière erreur a été particulièrement commise à propos de la Grèce: de nombreux secteurs de l'opinion publique européenne y ont vu un Kissinger expédiant un KAramanlis en Grèce afin de démocratiser un régime devenu encombrant, le parti communiste grec de l'extérieur et A. Papandréou ayant, pendant les premiers jours, vu là eux aussi le doigt des Américains, mais qui auraient cherché à perpétuer le "monarcho-fascisme" sous une autre façade.

Ces explications négligent le poids spécifique des facteurs internes; mais, surestimant le rôle des États-Unis, elles se trompent également sur le sens de la politique américaine.

1. Il y a certes, une stratégie globale des Etats-Unis dans la phase actuelle de l'impérialisme, mais il n'y a pas une tactique des Etats-Unis, il y en a bel et bien plusieurs.

LEs Etats-Unis ont acquis une longue expérience dans la répression des peuples et dans leur rôle de gendarme des bourgeoisies occidentales: ils ne mettent pas tous leurs oeufs dans le même panier et en fait de stratégie, ils ne misent pas sur une seule carte.

En fait, les Etats-Unis gardent toujours plusieurs cartes en main. Bien entendu, toutes les cartes ne sont pas pour eux équivalentes et ils en préfèrent certaines à d'autres, bien que souvent, ils les jouent simultanément. Mais cela veut dire que leur stratégie peut s'adapter à plusieurs solutions dans les pays de leur zone de dépendance.

Cela est net dans le scénario qui s'est joué en Grèce, mais également jusqu'ici au Portugal, ou qui se joue actuellement en Espagne. En Grèce, et par ordre de préférence pour les Etats-Unis:

-soutien presque jusqu'à la fin, à la dictature militaire, qui pourtant, sous ses formes et en raison de son pourrissement, devenait un cheval de bataille de moins en moins sûr;

- solution d'une évolution de la dictature vers une façade "légale" qui a échoué sous Markezinis-Papadopoulos en 1973, mais qui aurait pu être rééditée;

- solution d'un changement politique plus important, mais où l'appareil militaire continuerait à maintenir des "domaines réservés";

-solution Karamanlis;

- solution Kanellopoulos, homme de droite libéral bien plus ouvert aux organisation de résistances que Karamanlis;

- solution d'un gouvernement de transition sous l'égide du centre, à caractère vaguement social-démocrate de droite, du genre actuel en Allemagne, etc.

Des scénarios analogues peuvent être écrits en ce qui concerne le POrtugal, du soutien au noyau dur de la dictature à un caetanisme à façade libérale, jusques et y compris une certaine forme de spinolisme ou de gouvernement centriste (voir même l'ambiguité actuelle de la politique américaine à l'égard du POrtugal), et l'on pourrait en dire autant de l'Espagne et des solutions qui s'y dessinent.

Toutes ces solutions, il est vrai, ne sont sont soutenues par les États-Unis ni avec la même intensité, ni avec la même constance, ni par les mêmes moyens: leur attitude, face à la multiplicité des solutions "acceptables" possibles, passe des divers degrés de soutien à l'acceptation plus ou moins passive des solutions qu'ils considèrent comme un "moindre mal" - jusqu'au point de rupture, certes.
Mais cela montre qu'il serait fort simpliste de considérer que tout changement qui, dans les pays dépendants, ne dépasse pas le point de rupture est dû ou correspond à une volonté consciente et univoque des États-Unis. Dire par exemple que, en Grèce, la solution Karamanlis correspond à la "volonté" des Etats-Unis est à la fois vrai et faux, dans la mesure où elle ne représentait pour eux qu'une carte parmi d'autres, à la fois en retrait et en avance, dans l'ordre de préférence, par rapport à d'autres.

Cette tactique polyvalente des Etats-Unis, que l'on doit par ailleurs rapprocher de la tactique semblable des bourgeoisies en général concernant les formes de leur domination politique sur les masses populaires (le cas extrême, par exemple, des gouvernements social-démocrates, solution poursuivie ou simplement tolérée par les bourgeoisies selon les circonstances), présente à la fois des avantages et des inconvénients pour eux. Des avantages: elle permet la perpétuation de leur domination sous des formes diverses, adaptables aux circonstances concrètes. Des inconvénients: à force de démultiplier les tactiques, et étant donné l'importance du poids des facteurs internes de chaque pays et au premier chef des luttes de leurs masses populaires, les risques de dérapage et de perte de contrôle de telle ou telle solution, originellement jugée comme acceptable ou même souhaitable, se multiplient.

Il arrive alors fréquemment, dans la phase actuelle de montée des luttes au niveau mondial, que, à des degrés divers, des cartes leur échappent. C'est ce qui nous importe particulièrement ici, car la perte de contrôle est nette, pour les Etats-Unis, dans le cas du Portugal, et le dérapage s'est aussi produit, dans une certaine mesure avec Karamanlis dans le cas de l'affaire chypriote.

A cela s'ajoute un deuxième élément, quant à la stratégie mondiale des Etats-Unis. Il concerne l'extension du spectre des solutions jugées acceptables ou tolérables pour tel ou tel pays, dans une région du monde, notamment en Europe. Cette extension dépend, pour un pays déterminé , des possibilités de rattrapage offertes ou non par les autres pays de la même zone. Cela apparaît nettement dans l'affaire de Chypre: après l'échec de la carte grecques des colonels pour un partage de l'île qui l'intègrerait à l'OTAN, c'est la carte turque qui a été jouée, avec succès cette fois, par les Américains, de telle sorte que le partage de l'île, principal but recherché, semble déjà de toute façon, chose pratiquement faite. En ce qui concerne notamment la question de l'OTAN et des bases américaines dans le bassin méditerranéen, le degré d'escalade des Etats-Unis contre des régimes qui peuvent mettre en cause leurs privilèges régaliens dépend des possibilités de déplacement de leurs bases dans des pays avoisinants.

Cela explique, entre autres, le fait que, après les évènements du Portugal et de la Grèce, avant même ceux, prévisibles à brève échéance en Espagne, c'est vers l'Italie que se déplace la stratégie des Etats-Unis - sans que cela veuille dire, loin de là, que ceux-ci ont déjà tiré un trait sur le Portugal ou la Grèce!

2. Cette pluralité de tactiques des Etats-Unis n'est pas due simplement à une attitude consciente de leur part: elle tient également aux contradictions même du capital américain. En effet, une autre façon de surestimer l'ennemi consiste à sous-estimer ses contradictions internes. Le capital américain internationalisé et les grandes firmes multinationales américaines connaissent des contradictions importantes avec les fractions de ce capital à base d'accumulation et d'expansion, principalement à l'intérieur du pays; d'où une oscillation de la politique américaine entre un expansionnisme agressif, qui l'emporte constamment, et une tendance permanente vers une forme d'isolationnisme. Une autre contradiction existe, qui ne recoupe pas purement et simplement la première, entre grand capital monopoliste et capital non monopoliste, encore important aux Etats-Unis: elle se manifeste, entre autres, par la forme particulière de fonctionnement des lois antitrusts aux Etats-Unis qui, dernièrement encore, ont mis en difficulté des firmes multinationales de sinistre réputation comme les ITT ou les ATT. Etant donné la forme de régime propre aux Etats-Unis, ces contradictions internes se traduisent en contradictions importantes au sein des appareils d'Etat. C'est là un cas original de "fascisme extérieur", c'est à dire d'une politique extérieure qui, le plus souvent, n'hésite pas à recourir aux pires génocides, pourtant incarnée par des institutions qui, loin de représenter certes, un cas idéal de démocratie bourgeoise -on n'a qu'à penser, entre autres, à la situation des minorités sociales et ethniques aux USA - n permettent néanmoins une représentations organiques des diverses fractions du capital au sein des appareils et des branches de l'appareil d'Etat. Un tel régime, s'il est fondé sur une véritable union sacrée de la grande majorité de la nation sur les objectifs politiques principaux (union sacrée sur laquelle il y aurait beaucoup à dire), s'accompagne nécessairement de contradictions constantes et ouvertes au sein des appareils d'Etat.

Ces contradictions s'expriment précisément dans les tactiques divergentes et simultanées des divers appareils d'Etat des Etats-Unis, en matière de politique extérieure. LA CIA, le Pentagone et l'appareil militaire, les Affaires étrangères, l'Exécutif -l 'administration- et le Congrès adoptent souvent des tactiques différentes: on l'a vu, on le voit encore, pour la Grèce, le Portugal et l'Espagne. Qui plus est , ces tactiques sont parfois parallèles, suscitant des réseaux eux-mêmes parallèles qui s'ignorent ou même se combattent les uns les autres. Le cas de la CIA et du Pentagone court-circuitant littéralement le département d'Etat dans l'affaire chypriote, ou plus récemment, au Portugal, offre un exemple caractéristique de ces pratiques. Ces contradictions ont aussi leurs effets propres, et les risques de dérapages s'en trouvent accrus d'autant. (....)

Toutes ces remarques conduisent en définitive aux mêmes conclusions: non seulement les facteurs internes des divers pays de la zone d'influence des Etats-Unis jouent le rôle principal dans les diverses conjonctures mais les interventions mêmes de la politique extérieure des Etats-Unis, en raison des tactiques polyvalentes et des contradictions qu'elles cristallisent, laissent à ces pays une marge de manœuvre tentant, en dernière analyse, aux contradictions propres de l'adversaire.(...)".

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pp.45 à 68
Chap. "Les classes dominantes"

La question essentielle dans le renversement des régimes dictatoriaux au Portugal et en Grèce, dans les modifications qui s'annoncent en Espagne est: quel rôle exactement ont joué les facteurs "internes"? plus précisément, de quelle façon les facteurs dits "externes", concernant les modifications de la phase présente de l'impérialisme, se sont reproduits et intériorisés au sein même des structures économico-sociales et politiques de ces pays?

Le premier point concerne les modifications au sein des classes dominantes de ces pays. Il faut rappeler ici les remarques à propos des nouvelles formes de dépendance caractérisant, pour certains pays dépendants, leurs rapports au centre de l'impérialisme: d'une part, destruction , en raison des formes que revêtent les importations actuelles de capitaux étrangers au sein de ces pays, des modes et formes de production pré-capitalistes; d'autre part, le processus d'industrialisation dépendante de ces pays en raison de la tendance, au seins du procès actuel d'internationalisation de la production et du capital, du capital étranger à s'investir dans des secteurs du capital industriel directement productif.

Cela permet l'émergence ou le développement dans ces pays d'une nouvelle fraction de leurs bourgeoisies, ce qui est très net en Grèce et en Espagne et, à un moindre degré au Portugal: fraction que j'ai appelée ailleurs "bourgeoisie intérieure". (...) Ces bourgeoisies ne se limitent d'ailleurs pas au seul domaine industriel, elles s'étendent aux domaines qui dépendent directement de ce processus d'industrialisation: transports, circuits de distribution des biens (capital commercial), ou même à celui des divers services (tourisme notamment). Ces bourgeoisies se distinguent des anciennes fractions de la bourgeoisie par la complexité nouvelle de leurs rapports avec le capital étranger.

Tout d'abord, elles se distinguent de la bourgeoisie compradore (parfois désignée sous le terme d'oligarchie) celle dont les intérêts sont entièrement subordonnés à ceux du capital étranger, et qui fonctionne, en quelque sorte, comme relais et intermédiaire direct pour l'implantation et la reproduction du capital étranger dans ces pays. L'activité de cette bourgeoisie compradore a souvent un caractère spéculatif, elle est concentrée dans les secteurs financiers et bancaires commerciaux mais peut aussi se retrouver dans le secteur industriel dans des branches entièrement dépendantes et subordonnées au capital étranger. (...)Du point de vue politique, cette bourgeoisie est le véritable support et agent du capitalisme impérialiste étranger.

En revanche, la bourgeoisie intérieure, tout en étant dépendante du capital étranger, présente des contradictions importantes avec lui. tout d'abord parce qu'elle est sevrée dans le partage du gâteau de l'exploitation des masses: le transfert léonin de la plus-value se fait à ses dépens et en faveur du capital étranger et de ses agents, la bourgeoisie compradore. Ensuite parce que, concentrée principalement dans le secteur industriel , elle est intéressée à un développement industriel qui soit moins polarisé vers la mise en coupe réglée du pays par le capital étranger, à une intervention de l'Etat qui lui assurerait des chasses gardées, à l'intérieur, mais qui la rendrait aussi plus compétitive face au capital étranger; elle souhaite une extension et le développement du marché intérieur par une certaine élévation du pouvoir d'achat et de consommation des masses qui lui offrirait plus de débouchés; elle recherche enfin une aide de l'Etat qui lui permettrait de développer ses exportations.(...)

Quoi qu'il en soit, on voit bien que la distinction entre bourgeoisie intérieure et bourgeoisie compradore ne renvoie pas à une distinction simpliste entre une bourgeoisie "enfermée", "isolée" dans son espace national et une bourgeoisie internationalisée, bref à une distinction spatiale, mais au procès d'internationalisation du capital. (...)

Quoi qu'il en soit, ces raisons expliquent un fait capital: dans le contexte de ces régimes dictatoriaux, il s'est progressivement dégagé une convergence conjoncturelle et tactique des intérêts de la bourgeoisie intérieure, d'une part , de ceux de la classe ouvrière et des masses populaires d'autre part, avec pour objectif le remplacement de ces régimes par des régimes "démocratiques".

Ce fut la convergence essentielle, même si elle implique, comme base de compromis, une certaine limitation des privilèges régaliens détenus jusque là par les capitaux étrangers et la bourgeoisie compradore (...)

Ainsi les évènements en Grèce et au Portugal (on le verra dans un instant) mais aussi ceux qui sont en train de survenir en Espagne, loin de prouver, comme on le dit parfois, les possibilités d'une alliance stratégique des masses populaires avec les fractions de la bourgeoisie, sur la base d'un processus de libération nationale et de transition au socialisme (comme s'il s'agissait de réelles bourgeoisies nationales), prouvent exactement le contraire. Non seulement il ne s'est pas trouvé - c'était à prévoir- de fractions de ces bourgeoisies susceptibles d'appuyer un processus de transition au socialisme, mais il ne s'en est pas trouvé, tout au moins jusqu'aujourd'hui, qui fussent prêtes à appuyer ne serait-ce que des objectifs anti-monopolistes de type Programme Commun (...)

Mais d'un autre côté on constate dans les pays qui nous occupent un phénomène capital, qui tient précisément à leurs particularités, à savoir, pour l'essentiel, à la forme de régime de dictature qui y sévissait ou qui y sévit: une véritable alliance tactique de larges secteurs de la bourgeoisie et des forces populaires s'y est bel et bien originellement constituée ou s'y constitue, mais sur un objectif précis et limité, qui fut le renversement des dictatures militaires et leur remplacement par des régimes "démocratiques" Rappelons en outre l'élément particulier à ces pays: ce sont précisément les secteurs monopolistes de la bourgeoisie intérieure qui ont été les fers de lance de son opposition progressive à ces régimes, entraînant avec eux les secteurs du capital non monopoliste.

Là un premier problème se pose - à vrai dire, secondaire: les organisations principales de résistance des masses populaires, en particulier les partis communistes, ont-ils eu raison d'accepter, comme ce fut le cas pour tous, uen alliance avec les bourgeoisies intérieures, soit ouvertement formulée, soit de fait, avec pour objectif précis et limité le seul renversement de ces régimes. LA réponse est incontestablement affirmative. Pour abattre le fascisme, comme le disait justement Trotsky, il faut s'allier même avec le diable. Ce qu'il faut bien voir, c'est que progressivement, au sein de la majeure partie de la résistance, les divergences ne portaient plus guère, à cet égard sur le point de savoir si nous devrions faire une alliance tactique, mais si nous pouvions la faire, c'est à dire, si nous n'étions pas en train de courir après des fantômes: la bourgeoisie intérieure pouvait-elle être un allié ne serait-ce que sur cet objectif précis et limité, autrement dit, ses intérêts la portaient-ils bien vers un renversement du régime? La réponse était loin de paraître évidente à tout le monde. Les faits ont montré que, dans la conjoncture de ces pays, c'était bel et bien le cas.

Le deuxième point es autrement plus important, et je le signale dès maintenant: sous l'hégémonie de qui cette alliance se fait-elle? Inutile de se voiler la face: dans la conjoncture de renversement de ces régimes, elle s'est faite ou se fait sous l'hégémonie de la bourgeoisie intérieure, soit de façon nette, directe (Grèce, Espagne) soit pour le moment encore mais sous d'autres formes et de façon autrement plus hésitante et contestée (Portugal). Cela veut dire en clair que, même si cette bourgeoisie n'a pas la direction effective des luttes, et même si le renversement des régimes favorise considérablement les luttes, présentes et futures des masses populaires, le processus se développe jusqu'ici, dans une large mesure sinon pour l'essentiel, au profit de ses intérêts politiques. Corollaire inévitable: il n'y a pas eu de télescopage du processus de démocratisation et d'un processus de transition au socialisme et de libération nationale.

Ce qui, à son tour, pose une autre question: ce télescopage était-il ,dans la conjoncture mondiale et les données objectives de ces pays, seulement possible, ou alors -en revanche, et pis encore- l'enclenchement du processus de démocratisation ne devenait-il possible que dans la mesure précisément ou ce télescopage (c'est à dire l'économie d'une étape propre de démocratisation) était exclu? Autrement dit, en termes politiques, dans l'articulation, au sein de ces pays des contradictions dépendance impérialiste/libération nationale, capitalisme/socialisme, dictature/démocratie, n'était-ce pas bel et bien cette dernière contradiction qui, en raison d'une part des nouvelles réalités de classe qu'elle recouvrait, d'autre part de l'échec relatif de la classe ouvrière et de ses organisations dans leur rôle hégémonique au sein de cette conjoncture, devenait progressivement la contradiction principale pour les débuts du processus de démocratisation? (...)

Il est évident que cette démocratisation est autrement plus radicale si elle se fait - même sans télescopage de "l'étape démocratique" et de "l'étape socialiste"- dans un processus prolongé et ininterrompu par étapes, sous l'hégémonie et la direction effective de la classe ouvrière. Autrement dit, les formes de régime "démocratique" qui remplacent les dictatures risquent de rester longtemps hypothéquées par la façon dont ces régimes sont renversés. Hypothèque qui pèse encore pour l'instant sur le mouvement ouvrier: si le renversement de ces régimes est, ou sera, une conquête, considérable à plus ou moins long terme, du mouvement ouvrier, il est en même temps, il ne faut pas se leurrer, une victoire de cette bourgeoisie qui, en quelque sorte, en sort provisoirement renforcée. Situation qui contribue à l'instabilité caractéristique du processus de démocratisation dans ces pays."

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lundi 1 février 2010

LA DÉPRESSION CITOYENNE COLLECTIVE ET LA VOIE SUICIDAIRE D’UNE PARTIE DU CORPS SOCIAL



(Je précise d’emblée que cet article n’a aucune prétention scientifique, voire, emploie peut être à tort des concepts scientifiques ou prétendus tels, mais dans le sens que le plus grand nombre d’entre nous entend généralement...

Les habitants de ce pays, la douce France, seraient ceux qui consomment le plus d’anxiolytiques et antidépresseurs en ce bas monde. Faisons abstraction d’un phénomène comparable à mon sens, qui est celui des Etats-Unis où la sur-consommation de malbouffe et de crédits en tous genres joue peu ou prou le même rôle.

Comme toujours, on jette la pierre aux médecins - tous des incapables et des bons à rien. On peut aussi accuser les laboratoires pharmaceutiques. Ok. Mais ceux-ci expliquent non pas tant le besoin que le type de réponse actuellement offerte au besoin exprimé.

Oui, la France est devenue un pays de grands dépressifs. Nous sommes un pays de grands malades.

Parce qu’elle a été, à maintes reprises, le pays des plus grands espoirs politiques (au sens noble du terme) et que depuis des décennies, elle ne cesse de se perdre en turpitudes politicardes et électoralistes.

Plus hauts ont été les sommets à atteindre plus dure a été la chute.

La politique telle qu’elle est pratiquée quotidiennement dans ce pays depuis des années, sinon des siècles, qu’elle se dise "de droite" ou "de gauche", a fini par rendre le "corps social" totalement schizophrène. Et naturellement, dépressif face à la conscience aiguë de cette schizophrénie. Car constater un mal auquel on n’a aucune cure ne peut que rendre anxieux et dépressif.

Des maux (bien réels) qui n’affectent plus seulement les adultes, mais qui touchent également, par voie indirecte ( les parents, la famille) et directe (la confrontation dès leur plus jeune âge à un système qui marche sur la tête), les enfants, nos enfants et ceux des Autres ; c’est à dire l’Avenir de tous.

Les symptômes de cet état dépressif généralisé, nous les voyons tous les jours dans notre vie quotidienne. Les causes de cet état, nous les voyons également.

On nous a élevés dans l’idée (juste) qu’il ne fallait pas tricher. Or, la triche est institutionnalisée, sinon encouragée par tous moyens.Des hommes politiques condamnés pour fraude, détournement de fonds, injures racistes etc, peuvent continuer d’être candidats et sont même remerciés par l’attribution de présidence de commission sur la vie carcérale !

On nous a élevés dans l’idée (juste) qu’il ne faut pas s’en prendre aux plus faibles que soi, et que au contraire, les plus forts devraient protéger les plus faibles. Or, les plus faibles servent de bouc-émissaire et sont piétinés quotidiennement. Tout est fait pour expliquer que les chômeurs méritent leur sort et doivent être punis parce qu’ils sont chômeurs. Pas un doigt ne se lève au moment de l’opération "plomb durci" à Gaza...(soi dit en passant, ne cherchez pas pourquoi la cause palestinienne est emblématique pour de nombreux jeunes de banlieues ou pour de nombreux militants communistes - elle est le super-symbole de l’Injustice institutionnalisée avec un grand "I").

On nous éduque (ou plutôt on nous culpabilise) à protéger l’environnement (et protéger l’environnement est en soi un objectif juste et essentiel) mais observez le sol de la salle de cinéma où des milliers de spectateurs (sans doute de bonne foi mais particulièrement décérébrés) viennent de vautrer complaisamment leur mauvaise conscience dans la médiocrité dialectique d’un "Océans" ou d’un "la Terre vue du ciel" : les dalles sont couvertes de papiers, de pop-corn, de bouteilles. Une porcherie.

On nous élève dans l’idée qu’il faut respecter la Loi et l’Ordre mais la vie quotidienne est constellée de la victoire (petite ou grande) de ceux dont le premier principe est de ne jamais respecter la Loi et l’Ordre, de la cour de l’école maternelle au bureau en passant par les transports en commun, à commencer par le comportement de nombre des représentants des dites "forces de l’Ordre".

Des partis politiques nous expliquent que ce système nous fait crever (et c’est juste, ce système qui n’est pas seulement "économique", nous fait crever, quotidiennement, chacun de nous de mille manière différentes et pire, il fait crever l’Avenir et l’Espoir) mais leur premier acte est toujours de cautionner et de renforcer ce système.

J’en passe, la liste serait trop longue. Chacun de nous a mille exemples bien précis de ces contextes officiels et institutionnels propres à créer schizophrénie, angoisse, dépression.

Le drame, en plus, c’est que plus ce climat "pathogène" s’étend, plus le bonheur (ou ce que nous dit devoir être le bonheur) est présenté comme un impératif catégorique, et que celui ou celle qui ne peut pas l’atteindre, qui constate qu’il ne peut pas atteindre le bonheur tel que "notre société" le définit de façon maladive, est rejeté, perçu et se perçoit comme nul, minable, bon à rien, à jeter.

Et alors...

Alors on choisit :

LA CORDE. LA FENÊTRE. LA BALLE. LA PILULE...

Contre soi ou contre l’Autre (tuer un Autre, c’est toujours tuer une partie de soi et vice-versa).

Avez-vous vu que la RATP dans son souci faussement bienveillant de limiter les suicides sur ses voies, pose de plus en plus de "gardes-corps"?

Qui n’a pas l’impression, aujourd’hui, d’être atteint de ce mal qui ronge, insidieusement, sans toutefois bien savoir pour quoi on en est atteint puisque finalement dans notre vie prise isolément, cela peut ne pas aller si mal que cela? Et pourtant, qui, y compris parmi ceux qui estiment légitimement n’avoir pas trop de motifs d’angoisse, échappe actuellement réellement à la grande pieuvre de la dépression et de l’angoisse?

La réponse du "corps social" (comme du corps individuel) à ce type de pathologies, quand on ne rentre pas dans un processus de cure, ne peut être, à terme, que d’une rare violence. Une violence explosive.Une violence déchirante. Une violence qui se manifeste de plusieurs manières, et ne fait pas nécessairement une "révolution".

Je ne crois pas trop me tromper en disant que l’apathie du corps dit, cette fois, "électoral" (qui n’est pas exactement le même que le corps dit "social") ne fait que traduire, une fois de plus, cette prise de conscience aiguë, enfoncée dans nos chairs, ce ras-le bol et cette dépression profonde, que nous vivons à la fois individuellement et collectivement.

Nous n’avons pas ou plus envie d’aller voter parce que, si on se pose les questions du remède au mal, nous avons bien plus spontanément envie d’une solution radicale de l’ordre de "flinguer" toutes celles et tous ceux que nous rendons ( à tort ou à raison) responsables de cette angoisse, de cette schizophrénie généralisée, et ce depuis des décennies.

Nous souffrons, quotidiennement, et même chez nos soi-disant "défenseurs naturels" (à qui on peut encore moins le pardonner qu’à nos exploiteurs naturels) d’une absence de cohérence qui finit par faire norme ; nous souffrons de l’ambigüité comme état permanent de la conscience, et nous souffrons de ces maux sur lesquels de moins en moins, nous pouvons mettre des mots.

Notre énergie vitale est usée par la tension qu’induisent la schizophrénie et l’angoisse collectives, de plus en plus fortes.

En 2010, je mettrais ma tête à couper, qu’une journée de vie "normale" d’un salarié ou d’un chômeur "lambda" (enfants+boulot+maison+transports etc..) consomme, en situations anxiogènes, tracasseries administratives, rapports de domination sans frein, absence de solidarités, urgences physiquement éprouvantes, etc... ce qu’il nous fallait d’énergie pour toute une semaine il y a plusieurs décennies.

Le lundi soir ou disons allez, le mardi, une personne de 35 à 50 ans "normale" est déjà épuisée. Le 5 du mois elle est déjà au comble de l’angoisse de "la fin du mois".De tout ceci découlent des réactions en chaîne dans toute la famille, y compris étendue. Et donc, dans la société.

Déléguée syndicale, je ne vois pas, dans mon entreprise (où pourtant rien n’est "rose"), beaucoup de salariés qui veulent encore se battre pour "changer leur travail", leurs conditions de travail , leurs salaires. J’en vois de moins en moins, et de plus en plus qui ne rêvent qu’à une chose : larguer les amarres, quitter le bateau, fuir le monde, à commencer par celui du travail (qui nous suit jusqu’à chez nous, pendant la pause de déjeuner et y compris dans les transports en communs). Épuisés de vivre à 40 ans : "Comment je peux négocier un bon chèque pour me barrer?".

Allez faire défendre leurs retraites à des salariés ou des étudiants ou des chômeurs qui pour mille bonnes raisons et parfois sans le concevoir encore sont déjà dans une logique morbide et suicidaire? !

P. Mignard dans son dernier article intitulé "la Fronde" ici, parle de réaliser des expériences alternatives concrètes de résistance et de subversion du système, à l’échelon local.

Je ne peux pas repousser d’un revers de main cet objectif. Au contraire. "L’agir" m’apparaît de plus en plus comme une nécessité.

Mais je m’interroge sur ce qu’on doit entendre par là, sur les chances de succès à moyen terme, et surtout, sur les moyens intellectuels à notre disposition (la dialectique, je pense) pour appréhender le déroulement de ces expériences alternatives concrètes, afin qu’elles ne soient pas vues comme des échecs et donc que, in fine, le remède ne soit pas pire que le mal, compte tenu de notre état actuel.

Plus que jamais, je me dis que notre Avenir tient en grande partie dans l’éducation et l’enseignement (qui sont deux choses différentes), mais d’abord et surtout à la façon dont nous concevons éducation et enseignement -et donc, le maître et l’élève mais surtout la FINALITÉ réelle de l’enseignement - (car il va de soi que de mon point de vue la façon dont on les envisage doit profondément changer si on veut en faire des instruments de résistance valables).

On nous agite ces derniers temps les épouvantails des expériences ratées, monstrueuses, inhumaines, qui ont eu comme objectifs de créer un "nouvel être humain" - sur ce point là précis, les médias mettent sur le même plan nazisme et stalinisme, qu’ils appellent honteusement "communisme".

Par tous moyens, on nous explique que c’est la liberté dite "individuelle" (comme si cela existait vraiment pour l’Homme - la question n’est pas tranchée il me semble...) qui doit nous prémunir de ce type d’expériences , expériences forcément dangereuses et mauvaises, à ne pas tenter, - comme si ce grand Paquebot rapiécé qu’on appelle "Éducation Nationale" ne servait pas précisément à fabriquer, aussi, cet "homme nouveau" dont le système capitaliste va avoir de plus en plus besoin pour se maintenir de façon à peu près pérenne.

Je finis par me demander si nous pouvons oser rêver refaire un jour de la Politique (avec un grand P), comme je l’ai déjà défini ailleurs, sans se réapproprier d’abord urgemment la question de l’Éducation et de l’enseignement comme moyens d’autodéfense intellectuelle et donc de résistance concrète au quotidien, et au delà la question de la formation des êtres et des esprits?

Plus j’y pense, moins je le crois. Apprendre et enseigner, là est la clef.



De : LA LOUVE

mardi 6 octobre 2009

Retour des SEMINAIRES - "MARX au 21ème Siècle - L’esprit et la lettre"


10 octobre 2009 | Michael Krätke, Peut-on mieux comprendre les crises financières avec Marx ?

17 octobre 2009 | Guillaume Sibertin-Blanc, Subjectivité révolutionnaire, inconscient et lutte de classes

24 octobre 2009 | Michèle Riot-Sarcey, 1848 : une révolution oubliée ?

31 octobre 2009 | Marco Di Maggio & Roger Martelli, Le Parti communiste français et les intellectuels (1961-1973)

7 novembre 2009 | Annie Lacroix-Riz, Les concepts historiques tabous de l’historiographie dominante

14 novembre 2009 | Jean-Marie Harribey, Autour de la crise

21 novembre 2009 | Jérôme Maucourant, Marx et Polanyi – l’utopie du Capital

28 novembre 2009 | Isabelle Garo, Michel Foucault, lecteur de Marx : une politique philosophique

5 décembre 2009 | Jean-Jacques Lecercle, Marxisme et philosophie du langage

12 décembre 2009 | Franck Fischbach, Marxisme et philosophie sociale

6 février 2010 | Florence Gauthier, Droit naturel et révolution

13 février 2010 | Jean Robelin, La société communiste vue par Marx

20 février 2010 | Stathis Kouvelakis, Le Capital : une lecture historique

27 février 2010 | Emmanuel Barot, Sartre, Marcuse et la stratégie dialectique

6 mars 2010 | Jean-Numa Ducange, La naissance de l’historiographie marxiste de la Révolution française

13 mars 2010 | Mohamed Moulfi, Engels et la philosophie

20 mars 2010 | Fayçal Touati, Le logique et l’historique chez Hegel et Marx

27 mars 2010 | Juliette Simont, Sartre et Marx

3 avril 2010 | Lucien Calvié, Heine/Marx

10 avril 2010 | André Tosel, Colère, résistance, insoumission

Toutes les séances se dérouleront à l’université Paris 1-Sorbonne, dans l’amphithéâtre G. Lefebvre (galerie J.-B. Dumas, esc. R),

de 14 à 16h.

L’entrée est libre et gratuite dans la limite des places disponibles

L’affiche (A3, pdf) est accessible sur le blog du séminaire.

Le programme et l’affiche sont également accessibles sur la page dédiée au séminaire sur le site du CHSPM

Sites

Le Blog du séminaire

mardi 30 juin 2009

Quand la classe ouvrière refera de la politique, elle reconstruira son salut



J'ai eu la chance il y a peu de temps de pouvoir lire un livre malheureusement épuisé qui a été écrit par un certain Charles Hoareau paru aux éditions Messidor VO Éditions en1992, et qui s'appelle "LA CIOTAT - CHRONIQUE D'UNE RÉBELLION" (pour celles et ceux qui peuvent encore le trouver, je le recommande vivement).

C'est un très beau livre, et pour ceux qui avaient encore du lait au bout du nez - comme moi - au moment des luttes des chantiers navals de la Ciotat, et des créations des premiers comités chômeurs, une vraie leçon d'histoire ouvrière qu'on ne nous donnera plus nulle part.

C'est un livre extrêmement intéressant d'un point de vue politique notamment.

Ça m' a confirmé une intuition que j'ai depuis pas mal de temps: il y a plusieurs manières de "faire de la politique".

Mais surtout, la bataille politique (la bataille des idées et de l'expression de ces idées), et la solidarité prolétarienne internationale, sont indéniablement les deux mamelles des luttes de la classe prolétarienne.

Il me semble que les réflexions de quelqu'un comme Elie Domota, les enseignements du mouvement du LKP, vont en ce même sens.

Alors il y a façon petit-bourgeois, on "fait de la politique" comme carrière , comme débouché naturel à Sciences Po, comme on va jouer au golf, ou skier à Avoriaz...

C'est une carrière comme une autre, quand on a loupé médecine, ou qu'on n'est pas un grand avocat ou un grand journaliste ("grand" ici veut dire surtout bien sûr riche et reconnu par la bourgeoisie).

Une carrière personnelle et individualiste, où on réserve comme seul rôle politique au prolétariat largement entendu de mettre un bulletin dans l'urne de temps en temps, en général "pour le moins pire", et de coller des affiches , y compris de partis dits "de la classe ouvrière".

C'est un système de délégation de pouvoir sans contrôle du délégant, en plus, qui ne peut pas décider d'interrompre le mandat donné, et sans information, ensuite ,de la classe délégante.

C'est une façon de faire de la politique qui transforme les partis en entreprises où on fait carrière.

Et qui amène forcément à reproduire dans les partis, y compris ouvriers, tous les travers de la démocratie bourgeoise, construite pour appuyer, développer et renforcer le capitalisme.

C'est cette manière là qui a la part belle dans notre société actuelle, en tout cas en France (il me semble, dans beaucoup de pays).

C'est celle qui nous amène invariablement plus de droite dure et de société capitaliste à chaque fois, parce qu'elle éloigne forcément toutes les organisations prétendant représenter la classe des travailleurs de la dite classe, et corrélativement, qui éloigne la dite classe de ce qui prétend être la politique.

C'est cette manière là qui dévie la lutte de classe politique, dans la société civile, dans des luttes partisanes et fractionnelles au sein des syndicats de salariés, qui n'ont qu'à souffrir amèrement de ces combats internes fratricides.

Et puis, à côté de ça, il y a une façon profondément prolétarienne et révolutionnaire qui consiste à faire de la politique comme on construit sa maison, comme on doit nourrir sa famille, comme on assure l'avenir de sa retraite...

c'est à dire par nécessité, par intérêt individuel direct et indirect, et par intérêt de classe aussi, et non pas par jeu, par "plaisir" pur.

Cette façon prolétarienne n'est pas "donnée", elle est à construire, dans le cadre bien particulier d'une société capitaliste, et c'est ce qui fait une des difficultés de nos luttes, il faut à la fois construire l'outil et en même temps, s'en servir.

Parce que l'on pense que les prolos sont la majorité de la société, et que, pourtant, la "démocratie" dont on a hérité de 1789 ne représente plus du tout les intérêts de cette majorité, mais une minorité de nantis et de bourgeois, et que l'on sait que l'on doit participer activement tous ensemble, si on veut sauver sa, notre, peau.

Parce que l'on pense que si on ne se frotte pas à la politique comme organisation et moyen de pouvoir d'une classe, d'une société où domine de fait cette classe, tout ce qui est arraché d'une main à la bourgeoisie par la lutte de classe de terrain est invariablement repris d'une autre main par la même bourgeoisie, au travers des impôts, des lois, des décisions stratégiques...

De cette façon là, on pense que la politique est un prolongement de la lutte des classes qui se déroule à l'usine, au bureau, au magasin, à l'ANPE ( pardon "pôle emploi") à la caisse de retraite...Pour reprendre de nombreux exemples cités dans le livre sur La Ciotat, dans les comités de quartiers, dans les résistances face aux saisies d'huissier aussi.

La politique, telle que nous devons la créer, pour nous, c'est un prolongement nécessaire de la lutte de classe à l'usine ou au bureau.

Un prolongement sans lequel les luttes menées pour arracher des salaires meilleurs, des conditions de travail meilleures, revient souvent à construire un château de carte sur un sable mouvant.

Bien-sûr, quand je dis "une façon prolétarienne" et "une façon petit bourgeois" elle ne tient pas à la nature des personnes, mais à la pratique, aux méthodes et aux objectifs.

Car il arrive( de plus en plus souvent) que des anciens prolos "vendent leur âme au diable" et s'institutionnalisent dans des partis qui deviennent progressivement des partis petits bourgeois ( le déclin du PCF ces deux dernières décennies en est une bonne illustration - mais il n' ya pas que cela et il faudrait une longue étude pour en parler), et que, au contraire, des petits-bourgeois adoptent une manière et une lutte profondément prolétarienne et révolutionnaire.

Bref.

Si on voit la politique comme ce prolongement nécessaire de la lutte de classe sur le lieu de travail, pour organiser la vie en société "dans la cité", on ne peut qu'y prendre part quand on est salarié, actif ou pas.

Non plus en adhérant nécessairement à des partis, qui s'ils ont été à une époque des moyens en effet à la lutte de classe du prolétariat, ont aujourd'hui presque tout renié (il n'y a qu'à compter les salariés actifs, notamment du privé, qui deviennent en effet député ou sénateur ou dirigeant national de ces partis...).

Non pas, non plus, en tournant le dos radicalement à toute forme de politique.

Mais en se faisant soi même sujet politique actif.

En commençant par décider à titre individuel que nous devons devenir souverain.


Mais en s'organisant, même seulement localement, même en petit nombre, - y compris "en liaison" (mais en indépendance) avec ces "vieux" partis - , mais non pas pour "recréer" un énième parti qui sera au fond calqué sur tous les autres qui existent déjà.

Non.

En s'organisant pour recommencer à créer de l'avenir politique pour le prolétariat, en créant des groupes dont principalement l'objet va être double à savoir réfléchir analyser proposer, dans le but de construire un nouveau projet politique, c'est à dire un nouveau projet de société, et puis, deuxièmement, pour agir en conséquence.

Toute miette de construction politique autonome et de projet de société alternative arrachée à la bourgeoisie et à ses soutiens objectifs est bonne à prendre si elle va dans le sens d'une démocratie réelle.

La politique aujourd'hui c'est avant tout, pour nous, prolétaires, de se rapproprier le droit à la parole et à la proposition sur des tas de sujets qui sortent directement du cadre strict de la lutte de classe en entreprise, mais qui en sont le soutien, le rempart nécessaire.

Ne plus avoir peur de s'inviter aux réunion de partis, d'associations, ne plus avoir peur de prendre la parole devant des soi disant élites, de demander des comptes, de monter sur une caisse dans un parc ou sur une place pour dire tout haut à nos semblables ce que des années de lutte nous ont enseigné.

Ne pas rester dans son coin - même seulement à deux ou trois c'est mieux que tout-e seul-e.

Ne plus s'auto censurer.

Ne pas avoir peur d'écrire et de participer, en se disant qu'on n'écrit pas assez bien français, en se disant qu'on ne connaît pas assez de choses, qu'on n'a pas sa place, pas le droit...

Faire de la politique, pour la classe ouvrière, en luttant contre ce qu'on nous propose aujourd'hui comme seule façon de faire de la politique et qui nous dégoûtre manifestement toutes et tous (60 % d'abstention aux dernières européennes, 40 % d'abstention aux municipales d'Hénin Beaumont...), en luttant contre la propriété privée des moyens de production, en inventant de nouvelles formes de gouvernement par le peuple et pour le peuple, en construisant une nouvelle démocratie, une réelle souveraineté du peuple et notamment de la classe prolétaire, c'est retrouver le chemin de notre dignité et aller vers plus de bonheur.

Quand la classe ouvrière largement entendue refera de la politique, dans ce sens qui lui est propre, pour créer un nouveau projet de société qui réponde à ses intérêts à elle, elle reconstruira progressivement son salut.

D'ici là, elle se condamne à ce que tout ce qu'elle arrache comme victoires d'étapes lui soit implacablement repris, et même plus, par la bourgeoisie.

Le rôle de tout communiste devrait donc être, avant tout, de permettre, par tous moyens, (réformes, organisations de débats publics, soutiens aux révoltes locales...) à ses frères et sœurs prolétaires de s'exprimer, d'obtenir des nouveaux moyens de lutte politique, de faire naître ses idées, de s'organiser, pour que tous les moyens puissent être saisis valablement, et aussi, d'acquérir les connaissances fondamentales aussi qui permettront d'améliorer ainsi le travail entrepris par chacun pour soi en tant que représentant d'une classe...


La bourgeoisie , les propriétaires des capitaux, du Capital, leurs sbirres inféodés, ils doivent nous craindre et nous redouter.

Et pour cela, leur extorquer à la force de plusieurs semaines de grèves, quelques dizaines de milliers d'euros, même si c'est bon car ça évite aux prolos de crever, et que de toute façon c'est un minimum de ce qui nosu est dû, ce n'est plus suffisant car ils intègrent parfaitement ces perspectives dans leurs coûts sans que cela entame de beaucoup leurs profits.

La seule manière de nous faire respecter c'est d'aller faire irruption sur "leur" terrain, ou plutôt celui qu'ils nous ont confisqué, celui de la politique, de la parole publique, c'est de témoigner et de mettre en oeuvre la volonté de devenir SOUVERAINS A LEUR PLACE.

La Louve

http://osemy.blogspot.com

mardi 24 mars 2009

C'est quoi, M'sieur, une "famille qui sème le désordre et le trouble à l'ordre public"?



Par respect pour mes camarades qui accordent leur confiance à l'élu qui a prononcé les paroles ci dessous rapportées, pour ne pas les mettre dans l'embarras, je tairai le nom de l'auteur de ce qui a déclenché mon exaspération, mais je citerai cet extrait, où il est question, en représailles à des actes de délinquance (brûler des voitures je crois), de sanctionner "les familles", je cite:

"(...)les familles qui sèment le désordre et le trouble à l’ordre public, des sanctions fortes et symboliques, y compris l’expulsion.


A ce propos, je confirme que les arrêtés contre les saisies expulsions que je vais prendre avant le 15 mars prochain concernent les familles socialement en difficultés.

Sont exclues de ces mesures les familles impliquées dans les trafics de drogue, les réseaux mafieux et intégristes, les actes de violences tels les jets de pierres, les incendies de voitures et de poubelles
.
"

Le tout dit après avoir fortement félicité et encouragé les forces de l'ordre et de la justice, (ce qui pour n'être pas nécessairement une aberration, me semble en tout cas assez ridicule , et parfaitement superflu par les temps qui courent).

Je lis ce billet donc, et je m'interroge.

Je vous arrête tout de suite, il ne s'agit pas pour moi de prôner le laxisme, de dire que ce n'est rien de se faire cramer sa bagnole, que c'est pas grave, qu'il faut que jeunesse se passe, bref, le discours bien-pensant et condescendant de qui n'a jamais eu à être confronté à ce type de situation, ce n'est pas mon fort.

Même si je crois qu'il y a une part de légitimité dans certaines formes de violences "anti républicaines" et que je peux aussi les comprendre, prises dans un certain contexte.

Mais quand même....

De là à emboîter le pas au premier Chevènement venu! L'auteur de ces lignes précitées conclut par un tonitruant: " Y'a des coups de pied au cul qui se perdent".

Sauvageons! Tes parents, tes frères, tes sœurs paieront pour toi.

Là encore la question de la "troisième voie" - la voie communiste donc.... - se pose, il me semble. Comment traiter ce problème, celui de la délinquance, voire, de la criminalité (c'est différent quand même) en communistes?

En aboyant plus fort que les chiens qui nous gouvernent? En tombant dans le piège "bobo-sympa-cool"?

Mais donc....

Quelqu'un peut il m'expliquer ce qu'est, selon lui, une "famille impliquée dans un les trafics de drogue " etc?!!

Personnellement, la seule chose que ça me rappelle, dan le "meilleur des cas", c'est Robert Hue à Montigny dans les années 80 qui a ruiné la vie d'une famille de Marocains qu'il avait accusé publiquement (et à tort) de faire du "biz".

Je pense la personne qui écrit ce communiqué a un "léger" problème avec la loi et l'ordre, un problème disons, idéologique (et "un peu" démagogique aussi - et ce n'est pas la première fois qu'on la prend en flagrant délit de "franchissement de ligne jaune idéologique" ).

Moi je ne peux pas soutenir ce type de prise de position.

A qui ça s'adresse d'ailleurs, au fond, ce genre de discours, et qu'y a -t-il dessous? En tout cas, que peut-on y voir? A quel moulin cela apporte-t-il de l'eau?

Évidemment que chacun a droit à la sécurité, au respect de ses biens!

Je le répète, je ne prône pas du tout une politique permissive pour les vrais délinquants, donc, mais là, c'est bien le fond idéologique du discours sur ce sujet qui me dérange.

Au-delà d'un certain appétit pour la répression et la sanction que ça me semble dénoter, c'est, je pense, méconnaître la réalité de la vie de ces "familles" qu'il dénonce en bloc, ou alors en avoir une drôle d'appréciation.

Je connais assez bien le sujet pour en avoir quelques unes dans mon entourage immédiat, et pour l'avoir vécu directement - "les familles" sont souvent complètement larguées, ce sont les premières désolées, ahuries, les premières à subir aussi (parfois même la violence physique que font régner ces petits cons) quand elles ont malheureusement un vrai "caïd" dans leurs rangs ...

Je ne pense pas du tout que c'est comme ça qu'on les aide, ces fameuses "familles", et au contraire!

C'est évident pour moi que c'est aussi en sortant "ces familles là" de leur milieu habituel, de leur cité, de leur quartier, de leur rue, dans laquelle elles vivent depuis 25, 30 ans, qu'on les aide AUSSI ou disons, qu'on leur donne vraiment des chances .

Il faut couper les "racines", et faire de la prévention, de l'accompagnement. Et changer de société, bien sûr.

Mais quelle solution de priver une famille entière de la possibilité de se "sauver" pour punir un petit con (une petite conne) , voire un vrai voyou, qu'elle n'arrive pas à maîtriser, et dont elle souvent la première à souffrir!?!

On casse les chances qui peuvent exister pour les autres frères et sœurs pour "sanctionner" un ou une abruti/e?

Vraiment géniale comme idée...Spontanément, j'y aurais pas pensé, mais bon....

Faut dire que c'est tellement facile de culpabiliser les parents (je ne dis pas qu'ils ne sont pas responsables, mais responsables, pour le coup, ne veut pas forcément dire coupables, et les parents qui ont des enfants "difficiles", voire délinquants, ne sont pas forcément des salopards, voire, des criminels eux-mêmes!).

Que celui dont le gosse n'a jamais, jamais, jamais merdé (même lourdement) me jette la première pierre.

Sarkozy fait ça aussi, ce type de simplifications extrêmes qui donnent l'illusion qu'on a pris un problème à bras le corps et que cette fois, "fini de rigoler" - alors finalement, la différence, si on ne sait pas qui écrit quoi, entre "eux" et "nous", c'est quoi?

Parole d'ex "délinquante" (y'a prescription maintenant, je peux le dire !!)

mardi 17 février 2009

C'est une grande perte: Georges LABICA est décédé.

COMMUNIQUE DE LA POLEX

"Notre camarade Georges LABICA est mort brutalement jeudi dernier. Il y a quelques jours à peine, il nous interrogeait sur les crimes des colonialistes français en Afrique, un sujet qu’il connaissait mieux que nous. Cet intellectuel de grande qualité aurait pu, comme d’autres, jouer les philosophes médiatiques , se vautrer dans les modes idéologiques au service des nantis, et faire ainsi une carrière bien rétribuée. Il a préféré le respect de ses amis, une fidélité absolue aux idéaux marxistes trop souvent travestis en opportunismes sans principe. En Algérie au service d’un peuple enfin libéré du colonialisme, en France, dans les débats idéologiques inachevés entre militants communistes, Georges n’était pas seulement un penseur éminent, capable d’enrichir ceux qui l’entendaient, il était aussi un homme libre, un révolutionnaire, au sens le plus noble des termes.
Le collectif communiste Polex demande à tous ceux qui le pourront, de l’accompagner une dernière fois au cimetière du Pecq, le mardi 17 février à 15 heures.
"

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Décès du philosophe marxiste Labica

AFP
14/02/2009 |

Le philosophe Georges Labica, spécialiste de l'histoire de la théorie marxiste, est décédé jeudi d'une hémorragie cérébrale, ont indiqué aujourd'hui les éditions Le Temps des Cerises.

Né en 1930, ce professeur émérite des Universités a enseigné la philosophie politique à l'université de Paris-X Nanterre, et est l'auteur de nombreux ouvrages dont "Démocratie et Révolution" (éd. le Temps des cerises), "Théorie de la violence" (éd. La Citta del Sole), "L'oeuvre de Marx, un siècle après" (PUF). Il a co-dirigé le "Dictionnaire critique du marxisme" (PUF).

Militant anti-colonialiste et anti-impérialiste, il était également un fin connaisseur du monde et de la culture arabes, auxquels il a consacré plusieurs ouvrages.
Le philosophe Georges Labica, spécialiste de l'histoire de la théorie marxiste, est décédé jeudi d'une hémorragie cérébrale, ont indiqué samedi les éditions Le Temps des Cerises.

Né en 1930, ce professeur émérite des Universités a enseigné la philosophie politique à l'université de Paris-X Nanterre, et est l'auteur de nombreux ouvrages dont "Démocratie et Révolution" (éd. le Temps des cerises), "Théorie de la violence" (éd. La Citta del Sole), "L'oeuvre de Marx, un siècle après" (PUF). Il a co-dirigé le "Dictionnaire critique du marxisme" (PUF).

mardi 16 décembre 2008

IL FAUT UNE UNION DES COMMUNISTES AUTOUR D’UN PROJET POLITIQUE

Celles et ceux qui me lisent régulièrement ont du remarquer deux éléments récurrents dans mes tentatives de réflexion : "la démocratie prolétarienne" et "le projet politique".

Plus que jamais (et ce ne sont pas les congrès passés du PS et du PCF qui vont me faire changer d'avis, au contraire), je pense que l'union des communistes, et au-delà de nous, le nécessaire rassemblement anticapitaliste, ne pourront se faire tant que ce projet politique fera défaut, et tant que nous n'aurons pas chassé la nostalgie qui nous empêche d'inventer.

Il y a une grande différence entre vouloir "mettre fin à la 5ème république ", vouloir "redistribuer les revenus du travail", "restaurer le parlementarisme"...c'est à dire proposer, par exemple, une "république sociale" ou une "démocratie progressiste", et proposer un projet politique de démocratie "prolétarienne" ou "du travail".

Il ne suffit pas de dire (ni même de vouloir) que "la démocratie c'est la proportionnelle, c'est le parlementarisme"...

Comme si la question de la démocratie réelle pouvait se régler à coup de mécanismes de contrôle, de "checks and balances" comme on dit chez les anglo-saxons.

Comme si la construction du concept moderne (bourgeois) de démocratie ne posait pas un problème fondamental, insoluble dans des modifications qui sont vouées à rester " à la marge"...comme si cette construction politique ne "cachait" pas "quelque chose" !

Cette nature double, ambiguë, de la constitution politique bourgeoise, Marx, Engels, Trotski, Lénine ,Luxemburg et j'en passe... tous les grands penseurs politiques "marxistes" l'ont vue - ils l'ont même démontrée. Et nous l'avons laissée tomber.

Il ne suffit pas de dire que la lutte contre le "néolibéralisme" ou contre les "dérives de la social démocratie" impliquent (et seront résolus par) une "meilleure redistribution des richesses "et par la "gestion publique des banques" (sic)...par exemple.

Il ne suffit pas, non, car, soit tout cela est très flou (le "redistribuer les richesses", on peut en faire une échelle de 1 à 10 et je pense qu'on peut trouver "à gauche" des tas de gens qui penseront qu'à 1 on a redistribué et qu'à 10 on peut aller plus loin...), soit tout cela est très ancien, absolument pas nouveau et a déjà démontré par la preuve, autrefois, que ce n'étaient pas des solutions à nos problèmes (même si nul doute que c'est mieux que ce que nous vivons aujourd'hui).

Il y a une grande différence, une différence de taille entre ces deux conceptions de "la politique par le peuple pour le peuple", celle qui est actuellement prégnante dans la pensée politique dominante, et celle que nous souhaitons, nous, communistes, construire.

Cette différence, c'est la manière dont on envisage, dont on analyse, la question de la propriété du Capital, la question des rapports de domination et d'exploitation dans le travail, et les réponses que l'on entend y apporter.

C'est la place que l'on souhaite donner ou ne pas donner (ou plutôt que l'on souhaite permettre de laisser prendre) au "monde du travail". Les coups que l'on souhaite porter à la propriété privée des moyens de production.

Il y a une différence de taille donc, c'est l'exigence, le degré d'exigence que l'on se donne la liberté d'avoir, pour nous mêmes, dans nos combats politiques.

Que veut on et jusqu'où le veut on? Est ce que l'on considère que nous menons une lutte pour la libération ou pas? Dans ce cas, quelle est cette liberté que nous, communistes, nous prétendons permettre? Une liberté de pure forme, un égalitarisme de façade, en vogue chez les socio-démocrate est les démocrates chrétiens? Ou enfin, une égalité des chances réelles?

Est-ce qu'on se résout à aller extirper le mal à la racine (le système capitaliste) ou est ce qu'on continu à ne faire que des "pets de bouche"?

Il faudrait que chaque salarié se pose cette question, rien qu'une fois, sans a priori, sans idée préconçue, comme si il pouvait donner la vraie réponse sans s'autocensurer.

Est-ce que je me sens libre?Si oui, pourquoi? Et que me manque-t-il pour que je me sente libre? Que voudrais-je vraiment, au fond?

Ça commence par des questions "bêtes".

Est ce que c'est normal, à 42 ans ,de flipper comme un môme devant un père autoritaire quand on s'adresse à son patron? Est ce que c'est normal d'hésiter à répondre à son patron sur le même ton qu'il emploie avec nous parfois, souvent? Est- ce que c'est normal qu'en plus de la fatigue et de l'occupation quasi permanente que requiert le travail, cette activité qui pourrait être une source de satisfaction, voire de plaisirs, en plus que de richesses, et bien cette activité nous oppresse, nous opprime, voire, nous déprime, parfois jusqu'à la mort?

Est ce qu'on veut l'esclavage, la pauvreté, la peur au ventre? Ou, est ce qu'on veut la liberté? Et jusqu'à quel point on la veut? Qu'est ce qu'on entend par là, "liberté", au fond?

En quoi s'estime-t-on enchainés aujourd'hui, nous, les travailleurs?

J'ai peut être changé de parti, sans doute que je me suis trompé certaines fois, que comme tout le monde, il m'arrive de changer d'avis et tout ça m'arrivera encore - mais sur ce point là, celui de la liberté et de la libération, je n'ai pas bougé d'un iota. (Sans vouloir m'autociter, je rappelle simplement que c'est déjà ce que je disais le 1er avril 2007 à Bercy, ce que je continue à dire, différemment plus en substance, en faisant la jonction entre toutes ces expériences politiques et humaines, et en les nourrissant des pensées de nombreux auteurs qui m'échappaient jusqu'à récemment.)

Juste pour dire que certain-e-s n'ont certes jamais changé de parti, mais ils ont bien plus d'une fois changé d'idées, voire, de combats !

On doit savoir aussi si ces combats "politiques", ce sont des combats qui tournent autour de la représentation, de l'exercice indirect d'un certain pouvoir, des élections, ou si ces combats politiques sont des combats "de terrain", par les exploités eux mêmes, non pas exclusivement "par délégation", dans les bureaux des organes politiques ou des institutions bourgeoises...

On va me dire, et on me l'a assez reproché - mais ce n'est pas grave, je prends ma part, peu me chaut - que je suis décidément enragée contre les "partis de gauche".

Oui.

Ce n'est pas une nouvelle je ne l'ai jamais caché.

"Qui aime bien châtie bien"?

Non, pour être honnête, ce n'est pas cela qui me motive.

C'est la détestation profonde de la flagornerie et du manque de courage.

On ne leur demande quand même pas grand-chose, comme prise de risques à ces "politiciens"...

C'est quand même pas comme les mineurs qui risquaient leurs vies, c'est pas comme les syndicalistes qui risquent leur peau aussi, c'est pas comme les militants antifascistes qui se prennent des coups, voire, se font tuer...

On leur demande de réfléchir, d'analyser, de prendre des décisions ,de faire des choix idéologiques, d'accompagner les luttes, de les favoriser, et de projeter un horizon.

Pour cela, ils sont souvent bien payés, ils ont souvent des tas de collaborateurs très doués et cultivés, ils jouissent d'une immunité particulière, les médias leur sont ouverts (même peu)...

Alors oui, ça finit par me "lasser", me gonfler, m'enrager, cette apathie, ce mensonge permanent, cette course à l'échalotte, ce creux, ce vide, ce néant.

Parce que nous, on remonte nos manches et on les prend les risques (qui me "couvre" qui me "protège" moi, quand j'écris ici ou ailleurs?) !

On leur demande pas de nous amener la révolution sur un plateau, on leur demande pas la vérité comme une fille nue sortie d'un puits, non !

Mais le minimum, faire leur part du travail, n'est pas fait. Bref.

Certain-e-s vont en profiter, comme toujours, pour dire que je suis donc (évidemment) une ennemie de classe, puisque je dis qu'il faut d'abord, inlassablement, dénoncer les Tartuffe des "partis de gauche".

Pourquoi eux autant que la droite (mais sur des bases différentes)?

Parce qu'ils nous représentent, qu'ils disent, mais qu'ils ont prostitué presque tous les idéaux dits "de gauche" dont le premier a toujours été LA LIBERTÉ (et les libertés) du PEUPLE, la LIBÉRATION de celui-ci, et que ces libertés devaient être socialistes puisque la majorité (donc la loi, en "démocratie") de ce PEUPLE, ce sont LES TRAVAILLEURS actifs, passifs non actifs....

Parce qu'ils ont donné aux libertés un contenu sociétal complètement creux, et qu'ils ont juste "oublié" qu'il n'y a pas de liberté à celui qui a le ventre creux, à celle qui est exploitée, et surtout ils ont manifestement "oublié" pourquoi et comment cette exploitation-là est possible et ne se battent plus réellement contre cela.

Parce qu'ils refusent, encore aujourd'hui, et malgré leurs grosses voix, leurs poings serrés, leurs poses de nouveau martiales, ils refusent déjà de mener le combat pour lequel ils se font ou veulent se faire élire pourtant, et payer grassement.

Et que ce combat est d'abord en notre faveur, pour nous, nous le peuple du travail, le peuple des travailleurs, et d'abord, en notre sein, le peuple des usines, des chantiers et des travaux de force, le peuple des ouvriers.

Pas celui d'une "fiction" qu'ils appellent aussi "peuple", sur le mode de définition des universités de droit bourgeoises, et qu'ils ne veulent plus définir (parce qu'ils savent bien que, s'ils le définissent, "ce peuple", ils seront cuits - soit on verra leur mensonge petit-bourgeois, soit ils seront contraints de commencer vraiment à se battre).

J'aimerais savoir, s'ils ont, aujourd'hui, ce qui a toujours fait défaut à "la gauche" face à la "droite", ce que nous avons toujours négligé, reporté à demain, comme si cela devait jaillir d'un "grand soir", c'est à dire un projet politique, une nouvelle conception de la citoyenneté.

L'ont ils? L'envisagent-ils seulement?

Je n'ai encore jamais entendu aucun d'eux à ce jour, même le plus sympathique, proposer, par exemple, que la citoyenneté soit fondée non plus sur la nationalité, (cette notion qui est, particulièrement en France, tellement retorse), mais sur le travail, les services rendus à la collectivité...

Qu'ont ils à opposer, autrement qu'en belles phrases et en blabla vrombissant, comme construction politique, face à la démocratie bourgeoise?

Quelles sont leurs analyses politiques de cette dernière (et non pas des analyses politiciennes, voire, carrément politicardes)?

J'aimerais savoir comment on "redistribue les richesses" dans leur "république sociale" ou "de progrès", si les exploiteurs sont toujours les mêmes, si les exploités sont toujours privés de réalité politique, et qu'on continue de se contenter d'une pâle représentation du monde du travail?

Regardez par exemple l'Assemblée nationale !

Où est le monde du travail salarié, majoritaire? Il est minoritaire, et sa diversité au sein de cette minorité, n'est même pas assurée puisque les fonctionnaires de l'éducation nationale y sont parmi les plus nombreux.

Y a t il à l'Assemblée, des femmes de chez Arena? Des gars de chez Goodyear? Des gens des bureaux? Des postiers? des Gaziers? des chômeurs? des retraités?...Et pourquoi ce ne serait pas possible? Et pourquoi on ne se pencherait pas aussi sur ce problème là? Quitte à multiplier les Assemblées, quitte à les tenir dans les salles des usines?

J'aimerais savoir s'ils comptent vraiment reprendre et poursuivre le travail du Conseil National de la Résistance ,les bribes jetées par la constitution de 1946, seule tentative, à ma connaissance, de CONSTITUTION (c'est à dire de "contrat social") qui ait placé le TRAVAIL et LE TRAVAILLEUR, au centre de sa théorie politique.

Si la réponse est oui, comment , alors?

(Parce que les promesses n'engagent que ceux qui les croient n'est ce pas - la pratique du militantisme rend méfiant aussi).

Vont-ils se colletiner enfin la réflexion, l'analyse, la proposition, urgente, de la démocratie prolétarienne, de ses fondements, de ses moyens, ou s'en tenir à la "démocratie sociale" ou "progressiste" petit-bourgeois (i.e. capitalo-compatible), qui calmera les employés et ravira les cadres, passera la brosse à reluire à une certaine frange des directions syndicales pour leur dire "comme ils sont beaux, comme ils font bien", en clair, pour maintenir la "paix sociale" et donc, au fond, ne pas aller à la nécessaire révolution, éloigner de celle -ci (jusqu'à quand?).

Ils vont refaire le chemin du PS ou pas?

Je ne ferai pas de procès d'intention.

Mais je dis tout de suite que j'en ai d'emblée ras le bol d'entendre les mêmes conneries que celles qu'on a entendues en 1981 (aujourd'hui on sait que c'étaient des conneries et on sait bien pourquoi, j'espère ,donc on doit le dire) ; j'en ai plein le dos de ces politiques professionnels qui pensent qu'ils savent mieux que moi ce qui est bon POUR MOI !

Qui me contraignent (oui, il y a une contrainte morale, due à une acculturation, qui pèse sur "le militant de gauche") à adhérer à leurs partis pour seulement vaguement "écouter ma voix" (surtout pour me la prendre).

J'en ai ras le bol de monnayer un vague soutien à mes luttes sociales, en tant que travailleuse, par des "voix" sonnantes et trébuchantes, par des "cartes d'adhésion" etc...

Ça c'est un système qui marche sur la tête - où la minorité dirige la majorité, où les mandataires dirigent les mandants...(On va me dire "oui mais là tu es toujours dans le pouvoir, la domination, or, 'le pouvoir est maudit' - je ne dis pas que c'est faux, on doit en discuter....)

On dirait que toute la gauche, même la plus anticommuniste , est totalement pourrie ,en fait , par les conceptions staliniennes de la politique : "si tu n'es pas du parti, tu n'es pas de gauche. Si tu es un prolétaire qui ne vote pas à gauche, tu es un ennemi de classe", et toutes ces conneries.

Bien sûr il y a "des ennemis de classe" , des vrais, "à gauche" ! J'en ai même rencontré au PCF. Oui.

Mais toutes nos contradictions ne peuvent pas tenir dans ces fausses rhétoriques, toute notre dialectique ne peut pas tenir dans des anathèmes !

Seulement voilà, pour éviter l'anathème, il faut une analyse, une prospective, une construction systémique, il faut pouvoir être suffisamment armé idéologiquement pour ne pas redouter la confrontation et prendre part au débat.

Il n'est pas fini le temps où, si tu n'es pas au parti, tu es un ennemi (politique, de classe...) Et ça, au fond, ce n'est pas qu'au PCF, contrairement à ce qu'on dit.

Parce que "la gauche " est rigoureusement incapable de définir son sujet politique (et c'est pour ça qu'elle ne peut se définir elle même "sérieusement") - elle ne veut pas le nommer, ce sujet, parce qu'elle n'est plus révolutionnaire (entendez : elle ne veut absolument plus l'être).

Or que "la gauche" le veuille ou pas, il y aura toujours une aspiration révolutionnaire profonde dans le peuple du travail, quel que soit le sol sur le quel ils se fait exploiter.

Ici en France ou en Inde, ou en Chine.En Grèce. En Italie.

Elle se manifestera, au besoin contre elle, selon les époques, les circonstances historiques, avec plus ou moins de force, de désir, d'impérieuse nécessité, mais ce sentiment révolutionnaire est au cœur de l'homme exploité.

Cette révolution, c'est celle que fait le bébé quand il marche sans ses parents ; c'est celle que fait l'enfant quand il apprend à lire ; c'est celle que fait l'adolescent quand il fume sa première cigarette ou qu'il connaît ses premiers émois sexuels. C'est aussi celle que fait l'employé qui adhère un jour à un syndicat. Ou la femme battue qui porte plainte.

Cette révolution, c'est celle que pousse à accomplir le désir d'indépendance, le besoin de liberté, la soif de justice et le plaisir de l'évolution, du dépassement, et parfois la nécessité de sa propre préservation ce que j'appelle "instinct de vie".

Il faut savoir donc, si ces "courants" ou "partis" nouveaux ou soi-disant nouveaux, se donnent comme objectif de combattre, aux côtés des travailleurs, ce système qui nous opprime, qui nous névrose, qui nous tient en état infantile, qui nous étouffe, (je veux parler du système capitaliste bien sûr), qui permet à une minorité d'exploiter et de soumettre (à des degrés d'horreur parfois inconcevables) , la très grande majorité d'entre nous ,et de leur voler, en plus les miettes du bénéfice de cette exploitation.

Et quand je dis cela, je mesure la portée de mon propos - je ne parle pas de faire de la figuration, plus ou moins bien, plus ou moins efficacement pour certain-e-s, dans les manifestations ou aux portes des usines non (c'est mieux que rien mais ça ne change pas un système) - non, je parle de faire de vraies propositions politiques pour que les travailleurs puissent s'émanciper eux mêmes.

C'est à dire que je demande si ces "partis de gauche " ont vraiment en tête ce mot magnifique :

"l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes".

Je complète "Oui, mais A CONDITION que les représentants des travailleurs, les forces politiques qui se sont construites grâce et pour les travailleurs, cessent d'être les premiers obstacles à cette libération véritable".

Voilà la raison de mon courroux, de ma colère quasi permanente, contre les "partis de gauche", et particulièrement en ce moment : pour des tas de raison, ce sont des freins à la libération des travailleurs et ils nous contraignent à devoir nous battre contre des organisations que NOUS (les prolétaires) avons créées, qui NOUS appartiennent, autant que contre celles des patrons -(comme si c'était déjà pas assez difficile).

Alors, c'est extrêmement pénible, mais il faut le faire.

La seule manière de le faire est sans doute de s'organiser sans plus rejoindre aucune force qui ne mette pas notre souveraineté et notre liberté en son cœur (en commençant par se l'appliquer à soi même, qu'on soit adhérent ou pas) et qui ne tiendrait pas un discours sans ambiguïté sur le capitalisme (et non le "néo libéralisme" ou que sais je), le capital, l'exploitation, la propriété privée des moyens de production, la démocratie et la citoyenneté prolétariennes.

De mon point de vue, pour des tas de raisons expliquées souvent ailleurs, ou dans d'autres textes, j'ai dit depuis longtemps que je pensais que par NATURE "la gauche" ne pouvait absolument pas répondre aux exigences politiques qui sont celles des travailleurs socialistes au sens large ( i.e. y compris communistes, anarchistes, anarco-communistes, anarco-syndicalistes) et qu'elle ne peut pas, par essence, susciter ces mêmes besoins dans la majorité des travailleurs.

Je ne pense pas me tromper, et je prends les paris du devenir de tout ce qui sera fondé dans par et sur "la gauche" comme énième échec politique annoncé, à moyen terme, pour les travailleurs.

Peut être qu'à court terme, nous en tirerons quelques bénéfices ( mais ce n'est pas sûr du tout - regardons l'Allemagne - qu'est "Die Linke" par exemple? Et que change vraiment sa présence et sa soi disant "force" face à la crise? Ils n'ont même pas été foutus de se mettre d'accord sur un programme au dernier congrès, alors sur un projet politique, vous pensez bien...).

Incidemment donc, et uniquement sur ce "court terme", par contre, j'observe qu'en Grèce, ces derniers jours, la présence affirmée et combattive des différentes forces anticapitalistes et contestataires grecques, même minoritaires, aide les manifestations populaires, et sait accompagner (à de rares exceptions passéistes) les mouvements dits sociaux et sociétaux.

J'observe qu'en Italie où, n'en déplaise à mes amis staliniens, il y a de nouveau un parti des communistes qui s'appelle "Rifondazione COMUNISTA", il y a un très fort noyau de contestation et de révolte, qui manifeste, qui se rassemble, qui se bat contre Berlusconi etc... "bizarrement" depuis que les militants ont élu quelqu'un qui disait "comunismo" plutôt que "sinistra", "rosso" plutôt que "arcobaleno"... et oui c'est étrange....

J'espère que Ferrero ne "trahira" pas, ou peu, ou le moins possible - mais ... on doit toujours le redouter et être vigilant y compris avec les camarades qui nous inspirent confiance et respect ; on peut craindre, notamment que toute démarche de "parti institutionnel classique" (sur lequel RC est encore construit) soit vouée à l'échec dans le système de la démocratie bourgeoise, s'il n'est pas fondé sur un projet politique alternatif.

Mais je sais qu'il y a des camarades dans ce parti qui, de par leurs expériences différentes du passé, n'ont pas complètement perdu de vue la "democrazia proletaria" et le "potere operaio".

Peut être que, dans les années 70, toutes ces constructions étaient hasardeuses, gauchisantes... sans doute. Mais elles ont le mérite d'avoir existé et de ne pas être mortes.

Avec le temps, avec le développement d'une forme de philosophie politique marxiste, et avec la confrontation à la réalité gouvernementale par les hommes, je pense aussi que toutes ces graines n'ont pas pourri et sont encore vivantes,et meilleures, dans les poings de ces camarades.

Alors voilà, et ce sera ma conclusion, à ce jour, pour l'instant, il n'y a pas un projet politique à long terme, qui nous évite de faire toujours la même erreur : voter pour la droite, qui amènera la gauche, qui ramènera la droite, etc....

Alors, ce projet politique alternatif, pour la démocratie prolétarienne, il faut le construire.
Le construire nous même.

Nul besoin d'être diplômé ou savant - mais on peut l'être aussi.

Il suffit de commencer par dire ce que nous , travailleurs, amis des travailleurs, nous voulons. Il faut avoir le courage de dire ce que nous voulons, le courage d'aller au bout des analyses et des raisonnements, d'en tirer les conclusions, d'arrêter de se coucher à mi-chemin.

On ne repart pas de zéro non plus, nous avons deux filiations théoriques que j'ai rappelées plus haut.

Et ensuite, il faut l'imposer, y compris l'imposer aux soi-disant "forces de gauches", par tous les moyens, et dire à tous ces partis : c'est nous qui sommes souverains, pliez vous ou battez vous.

Et puis l'imposer, l'arracher, par tous moyens, aux forces de droite et derrière elles, aux capitalistes - Autre paire de manche....Mais à cœur vaillant, rien d'impossible.

Voilà mes camarades,

Salutations de combat