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jeudi 29 octobre 2009

Quelques idées pour un débat sur "l’identité nationale" ....


Il faut lui reconnaître ça.

Il a de bonnes idées ce bougre de Besson.

Un débat sur l"identité nationale?

Très bien !

Je suis pour. A 2000%.

Le sujet de la Nation, celui qui la compose, c’est le Citoyen. Le "Français" c’est "le citoyen français".

Ça, tout le monde le sait. C’est la base. Même Jean Sarkozy avec sa deuxième année de droit doit le savoir - son papa pourra lui demander confirmation.

Je propose donc à M. Besson que soient Citoyens (ou citoyennes) français les personnes répondant aux critères suivants :

"Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année : Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; -

Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. L’exercice des Droits de citoyen se perd - Par la naturalisation en pays étranger - Par l’acceptation de fonctions ou faveurs émanées d’un gouvernement non populaire ; - Par la condamnation à des peines infamantes ou afflictives, jusqu’à réhabilitation.

L’exercice des Droits de citoyen est suspendu - Par l’état d’accusation ; - Par un jugement de contumace, tant que le jugement n’est pas anéanti."

(Ahhh....un instant.... on me signale que cette proposition a déjà été faite et que c’ était celle de la constitution de l’An I, en date de 1793. parfait !)

En conséquence de quoi, les travailleurs étrangers avec ou sans papiers, avec ou sans burqa, sont citoyens français, et à ce titre, garants de la pérennité et de la définition de la "Nation Française", d’autant qu’ils aident et ont aidé les députés français, autant que les "bons français de souche", par leurs impôts, leur consommation, à pouvoir se mettre mensuellement quelques 13.000 euros dans la poche - faudrait songer à leur renvoyer l’ascenseur.

Les 3.000 personnes (au minimum) ayant fraudé le fisc pour mettre leur fric à l’ombre en Suisse ( ou ailleurs) sont déchus de leur nationalité française, ainsi que toute personne qui leur a prêté assistance et continue à leur porter secours et les membres de leur famille ( oui oui comme on faisait aux familles d’aristos qui conspiraient contre la liberté du peuple de leur "pays").

Toute personne ayant porté atteinte aux intérêts du peuple de France, qui est souverain, sera également déchue de sa nationalité - à l’heure actuelle la liste est longue...inutile de le dire !

Pour terminer, un petit rappel de textes :

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793

Article 33. - La résistance à l’oppression est la conséquence des autres Droits de l’homme.

Article 34. - Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.

Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Voilà.

La Louve

mardi 22 septembre 2009

"Sommes nous représentés"? Note incidente à la lecture de "1871"


Juste un petit billet pour une fois !

Je suis en train de lire (avec avidité) une histoire de la Commune par Prosper-Olivier LISSAGARAY (qui faillit devenir le gendre de K. Marx mais dont Jenny Marx refusa toujours catégoriquement qu’il obtint la main de sa fille) et qu’on appelait "le Comte rouge". L’ouvrage de LISSAGARAY fut d’ailleurs traduit en anglais par Eleanor Marx...

Cette découverte tombe à pic, car j’avais relu cet été le livre de Marx sur la séquence 1848-1851.

Pour vous donner le ton, voici un extrait de la préface du livre de Lissagaray en date de 1876 :

"Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs."

Ce livre que j’ai trouvé en fouinant dans des caisses de vieux bouquins pas chers s’appelle tout simplement

"Histoire de la Commune - 1871".

Et il est incroyable.

D’abord, l’auteur a participé à la Commune lui-même, et puis, il a recueilli le témoignage presque " sur le vif" de plusieurs acteurs dont certains "importants" (au sens de "déterminants", car le vrai héros de la Commune, c’est le peuple des prolétaires et des va nus pieds de Paris), de la Commune.

C’est franchement très intéressant, et j’en recommande la lecture à tout ceux qui pourront le trouver sans se ruiner (pas évident car même l’exemplaire "de poche" est cher) ou l’emprunter, et qui auront le goût (et le temps surtout) de le lire.

Aux détours de l’Histoire (dont on voit qu’elle n’a pas changé tant que ça au fond, et que ce qu’on appelait alors "la Gauche" ressemblait déjà furieusement à ce qu’on appelle encore "la Gauche" aujourd’hui, à de rares exceptions près...c’est à dire s’appuyant toujours sur "le peuple" pour survivre en période pré-révolutionnaire, mais en réalité pour CONSERVER LE POUVOIR ET L’ÉTAT EXISTANTS et finir toujours par le rendre aux grands bourgeois, aux capitalistes, aux tyrans), entre récit de trahisons de cette "Gauche", de batailles héroïques, de prise de conscience, de reculades incroyables, de sang, de larmes, d’honneur... Lissagaray pose à un moment une question qui me semble cruciale, une question que, dit-il, s’est posé à un moment le peuple de Paris, une question qui lui fut posée aussi par ceux qui deviendront non pas "la Gauche" mais "les Communards" :

"SOMMES NOUS REPRÉSENTÉS"?

J’ai envie de reposer la question aujourd’hui. Elle est toujours terriblement d’actualité.

Sommes nous représentés?

Répondre à cette question implique de répondre d’abord à une autre question : qu’est ce qu’être "Représenté"?

Tant qu’on ne répondra pas à des questions en apparence aussi simples, on ne démasquera pas à fond l’énorme hypocrisie politique que constitue, particulièrement aujourd’hui, la démocratie dite "représentative" dans laquelle nous vivons.

Tant qu’on ne répondra pas à ce genre de questions, on ne démontrera pas à quel point aujourd’hui même, nous sommes éloignés du meilleur de ce qu’aurait pu donner, de ce qu’on aurait pu tirer de cette démocratie bourgeoise pour le mouvement ouvrier (s’il n’avait pas été autant et si souvent trahi, il faut le dire aussi, par soi disant "les siens").

Tous les écueils pointés dans la séquence 1848/1871 rappelée et dépeinte au début de l’ouvrage pour décrire, avec une grande intelligence, les conditions de 1871, existent encore (sous d’autres formes éventuellement) dans "la Gauche".

On devient encore moins complaisant avec cette réalité (et ce concept) qu’est "la gauche" en lisant cet ouvrage.

On n ’y voit définitivement, majoritairement, qu’une bande de salopards qui a toujours manœuvré, finalement, pour l’ennemi de classe, se payant des diverses miettes que le vrai pouvoir laissait tomber, avec des airs de "ne pas y toucher", pour, toujours, finir par abandonner le pouvoir aux tyrans les plus vils au moment où la révolution prolétarienne pouvait se réveiller.

Comme dit Lissagaray :

"Trois fois, le prolétariat français a fait la Révolution pour les autres ; il est mûr pour la sienne. Les lumières qui lui manquaient autrefois ne jaillissent maintenant que de lui."

Aussi je le pense, plus que jamais, à la lecture de cet ouvrage, plus que jamais, le mot d’ordre de ceux qui sont le peuple, et qui se disent socialistes, communistes, ça ne peut être que "à bas la gauche, à bas la droite, et vive le parti du prolétariat" !

La Louve

lundi 23 mars 2009

Non à l'Union européenne. Non au nationalisme.Non aux "Etats-unis d'Europe". Réflexions sur l' UE, la nation et la démocratie prolétarienne

Z'allez me dire "elle est jamais contente celle-là" et avec elle, c'est toujours "Non"!

Donc, au risque d'en agacer à nouveau certains, et comme cette période pré-électorale agite les ruches politiciennes et réveille les bourdons, je souhaiterais revenir à nouveau sur cette fameuse "troisième voie communiste" (dont je pense, naturellement, qu'elle existe), relativement à la troublante question de la nation, largement entendue.

Une voie ni trotskiste (ou "trotskisante" - c'est à dire le projet des "Etats-Unis d'Europe") ni souverainiste (comme on dit poliment pour certains camarades que je jugerais, moi, plutôt nationalistes).

- D'abord, il me semble évident que la question de la nation ne peut pas être, aujourd'hui, un "discriminant idéologique" permettant de distinguer la droite de la gauche, puisque si bien la droite qu'une partie dite de la gauche s' y retrouvent fréquemment au rythme des référendums et des élections de l'UE.

- Je dirais également qu'une position a pu être juste pour nous, communistes, il y a cinquante ou cent ans, mais qu'elle ne l'est plus forcément aujourd'hui.

Rien ne saurait être inscrit "dans le marbre", surtout pour nous qui devons, je pense, par essence, être mouvement, c'est à dire d'une certaine manière, être philosophes et donc en "prise directe" avec notre monde tel qu'il EST.

J'insiste sur ce sujet de la nation d'un point de vue politique et prolétarien plus précisément, car je pense extrêmement dangereux de nous placer volontairement dans une perspective politique qui laisse la porte ouverte à nos principaux ennemis, les Le Pen, les De Villiers... je veux dire les nationalistes de droite, bras armé du capitalisme.

Pas seulement du point de vue de leur racisme, manifeste, abjecte, ni même de leur xénophobie, mais aussi à cause de ce que leurs "ancêtres" (et eux mêmes) ont toujours fini par faire subir aux travailleurs et aux exploités, que ceux ci soient, finalement, noirs, jaunes, ou blancs! Et comment ne pas ajouter un mot sur l'anticommunisme viscéral de ces représentants politiques?

Non, il faudrait être fou pour se laisser approcher par de tels personnages, on ne peut pas se compromettre, ni compromettre nos luttes renaissantes, dans de tels errements.

C'est pourquoi nous devons de toutes nos forces lutter contre cette dérive social-chauvine et combattre ces idées nationalistes qui refont surface, progressivement, dans le mouvement communiste.

- Les concepts, notamment juridiques, changent, se transforment, au gré des années, en fonction de nombreux éléments : leur utilisation, les circonstances historiques, les jurisprudences, la pratique législative, etc.

En conséquence, les réalités qu'ils désignent sont également recréées par les concepts eux-mêmes. C'est une perpétuelle interaction.

Exemple: quelles similitudes reste-t-il entre la famille du code Napoléon par exemple, et la famille aujourd'hui? Quelles similitudes entre le citoyen de la constitution de l'an I (qui pouvait fort bien être un "étranger") et celui de la 5ème République? Le majeur de 1958 est-il le même que celui de 2009? Etc.

Je ne reviens pas sur les développements qui m'amènent donc à dire que la nation, a fortiori telle que nous la connaissons aujourd'hui, est bien un concept juridique bourgeois (au sens où ce concept est un artefact, une fiction si on préfère, produit par la pensée dominante, qui imprime à tout ce qui le touche de près ou de loin les buts que la bourgeoisie a assigné à la construction de son projet de construction politique, à savoir l'essor, et la préservation du capitalisme comme règle d'airain ), et que de mon point de vue, donc, la nation est un concept dont nous ne pouvons pas nous satisfaire; cela, je l'ai dit et expliqué maintes fois.

J'insisterai simplement aujourd'hui sur le fait que cette position ne signifie nullement que je dénie à la nation une quelconque existence, ou plutôt une quelconque réalité!

Au contraire, j'affirme bien volontiers que "la nation" est une réalité. Une réalité juridique, politique.

Mais une réalité spécifique et protéiforme aussi, car nombre de pays dans le monde, malgré la création de la SDN, puis de l'ONU, ne se servent pas de ce concept comme un concept fondateur de leur philosophie politique, ou ne donnent pas à ce concept le sens que nous lui donnons en France.

La constitution des USA par exemple, ne mentionne la nation qu'à trois reprises pour désigner des relations avec l'étranger, et commence par ce préambule que j'ai toujours trouvé très fort :

" (We, the people...) Nous, Peuple des États-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d'établir la justice, de faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bien-être général et d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d'Amérique."

Point de Nation comme "corps intermédiaire" entre l'Etat et le Peuple pour déterminer qui est titulaire de la souveraineté , c'est à dire, au fond qui commande à l'Etat, et au-delà qui commande au Peuple.

Point de mystification aussi compliquée à mettre en œuvre que notre fameux:

" La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum."

Oui, la nation, en France en tout cas, c'est une réalité d'origine bourgeoise, qui a un contenu bourgeois, encore de nos jours, et sans doute même bien plus qu'en 1789/1793.

On va me dire en hurlant "Il n'y a pas de réalité bourgeoise, tu délires, sale gauchiste"!

Je pense, toujours, que non, c'est faux. Il y a des réalités bourgeoises.

Notre réalité politique actuelle est bourgeoise "des pieds à la tête", du droit de manifester en passant par la liberté d'expression jusqu'à la citoyenneté qui nous qualifie politiquement ... (et c'est pour cela que le combat politique des communistes est aussi dur, c'est parce que nous devons nager dans cette réalité politique-là pour espérer la transformer et changer de société un jour...).

- On pourrait aussi me reprocher d'accorder une importance démesurée au droit - certains me l'ont reproché d'ailleurs. On sait sur quelle idéologie repose ce reproche. Je n'y reviens pas.

Alors, ce reproche serait exact si le droit était "Idée pure", s'il n'était réalité lui-même, créateur de réalités. Si ce n'était un des instruments de prédilection de la bourgeoisie pour gérer la société. S'il n'agissait profondément par différents moyens sur nos vies!S'il n'était l'un des piliers du système capitaliste!

Mais je ne développerai pas non plus ici car je l'ai déjà fait ailleurs.

Bref, on ne peut pas évacuer la question du "Droit créateur" (et quel créateur) d'un revers de la main!

Tous les fascismes se sont appuyés sur le droit, les juristes, et plus spécifiquement, sur la loi, pour naître et grandir. Et je ne parle pas que de lois pénales bien sûr.

Bien sur, je pense, et j'espère, que la société communiste se régulera par la pratique politique, et non plus par le droit ou ce qu'on appelle "la justice". Et oui, je crois que, si à un moment, il n' y aura plus d'état, sans doute, il n'y aura plus ce que nous appelons aujourd'hui "justice". Mais c'est un autre débat.

Le cadre général de la question, à ce stade de notre évolution politique, reste le même, qu'on prenne la question par la nation ou par le peuple, et ce cadre c'est l'Etat, oui, avant même la nation, avant même le peuple peut être. Il faut commencer par ne pas oublier cela.


- Tout ceci pour revenir à mon "cheval de bataille":

comment et pourquoi nous ne pouvons pas défendre "la nation", (et encore moins aux côtés des souverainistes de droite - à supposer qu'il en existe " de gauche" - !), nous communistes.

Pourquoi nous devons radicalement faire le choix de la souveraineté populaire (et non "nationale") et de la démocratie prolétarienne comme outils transformateurs de la société et voies pré-révolutionnaires.

Y compris (surtout) contre l'Union Européenne.

- Oui, moi aussi, je pense qu'il faut sortir de l'Union Européenne (ou la faire exploser), et en tout cas, j'ai la conviction depuis très longtemps que rien ni personne ne la rendra "plus sociale".

Non, je ne crois pas une seconde à la fausse politique des "petits pas" appliquée à ces institutions.

Nous vivrons, (nous vivons déjà), communistes, les mêmes déconvenues qu'avec la 5ème République et avec toute institution bourgeoise, parce que nos forces ne sont pas en état de les subvertir, de les détourner, de les faire exploser en faisant grossir leurs contradictions internes.

Ce n'est pas une question de nombre, mais c'est une question idéologique, une question d"organisations politiques aussi.

Moi aussi, je pense que ce sont des accords entre les peuples souverains qui doivent être mis en place, comme l'ALBA (je ne dis pas que cela soit transposable), et en tout cas évidemment, je me refuse à soutenir l'impérialisme européen, de même que l'impérialisme américain, ou l'impérialisme dit soviétique, lorsqu'il existait.

Mais je ne suis pas convaincue, (doux euphémisme), de la nécessité pour nous de devoir enfourcher le cheval de "l'indépendance nationale" (et aucun raisonnement en ce sens ne me convainc puisque tous se raccrochent soit aux positions de Lénine qui me semblent sur-employées dans ce débat, soit, indirectement, aux positions de Staline - et là, ça me va forcément encore moins.)

La question de l'attitude à adopter vis à vis de l'Union européenne, on ne la résout pas en une question "d"indépendance nationale."

Il me semble que, in fine, sur cette question, Lénine, que certains citent à plaisir pour appuyer leurs positions souverainistes, a toujours raisonné ainsi, et qu'il n'a fait de l'indépendance nationale une question déterminante qu'en cas d'agression dite impérialiste, d"une nation sur une autre!

Je citerai ici un extrait fascinant de notes de Lénine, qui j'espère mettra définitivement un terme à ce "mésusage" du grand Valdimir sur cette question de la nation:

"J'ai déjà écrit dans mes ouvrages sur la question nationale qu'il est tout à fait vain de poser dans l'abstrait la question du nationalisme en général. Il faut distinguer entre le nationalisme de la nation qui opprime et celui de la nation opprimée, entre le nationalisme d'une grande nation et celui d'une petite nation.

Par rapport au second nationalisme, nous, les nationaux d'une grande nation, nous nous rendons presque toujours coupables, à travers l'histoire, d'une infinité de violences, et même plus, nous commettons une infinité d'injustices et d'exactions sans nous en apercevoir. Il n'est que d'évoquer mes souvenirs de la Volga sur la façon dont on traite chez nous les allogènes : le Polonais, le Tatar, l'Ukrainien, le Géorgien et les autres allogènes du Caucase ne s'entendent appeler respectivement que par des sobriquets péjoratifs, tels «Poliatchichka», «Kniaz», «Khokhol », «Kapkazski tchélovek ».

Aussi l'internationalisme du côté de la nation qui opprime ou de la nation dite «grande» (encore qu'elle ne soit grande que par ses violences, grande simplement comme l'est, par exemple, l'argousin) doit-il consister non seulement dans le respect de l'égalité formelle des nations, mais encore dans une inégalité compensant de la part de la nation qui opprime, de la grande nation, l'inégalité qui se manifeste pratiquement dans la vie. Quiconque n'a pas compris cela n'a pas compris non plus ce qu'est l'attitude vraiment prolétarienne à l'égard de la question nationale : celui-là s'en tient, au fond, au point de vue petit-bourgeois et, par suite, ne peut que glisser à chaque instant vers les positions de la bourgeoisie."

(Extrait de "La question des nationalités ou de l'autonomie " notes publiées pour la première fois en 1956 dans le n° 9 de la revue " Kommounistt". Repris dans "Oeuvres", T.36, pp. 618- 624; 1922) -

Cela résume, je pense, parfaitement, tout ce que Lénine a pu écrire en tant que membre bolchévik d'une "grande nation", longtemps minée par le social chauvinisme et l'esprit Grand-Russe, sur ce sujet des nations et de leur indépendance (et Marx également avant lui , et exactement pour des raisons similaires).

Ce point de vue "d'indépendance nationale", que nous pouvons certes être appelés à défendre en certaines occasions (notamment contre les agressions colonialistes, et par exemple, de mon point de vue, contre les békés en Guadeloupe, et le soutien qu'ils trouvent auprès de l'Etat français), ce point de vue ne vaut pour moi, dans la question qui nous occupe, et d'un point de vue léniniste (puisqu'on en appelle à lui) que si l'Union Européenne était une nation.

Or elle ne l'est pas! Et je ne crois même pas qu'elle tende à le devenir ( en réalité, les capitalistes n'y auraient aucun intérêt!) - en cela, d'une certaine manière, ils ont tiré la leçon de l'URSS.

Si elle est bien devenue un "bloc" impérialiste, elle n'est pas une nation, au sens où on l'entend classiquement en Europe justement. Et ce n'est pas parce que c'est une entité "supranationale" que c'est elle-même une nation. C'est une "chose hybride" - à mi chemin entre l'Etat fédéral et l'Etat-nation.

Donc, ce point de vue de l'indépendance nationale, c'est un point de vue qui vaut lorsque l'Allemagne nazie envahit les Sudètes, lorsque l'empire austro-hongrois annexe la Pologne etc.

Je vais tenter d'expliquer encore pourquoi par un dernier contre- exemple.

Imaginons.

Si il devait s'avérer que l'Union Européenne soit politique et qu'elle soit un Etat socialiste, une démocratie prolétarienne, je troque volontiers "l'indépendance nationale" (le cas échéant l'indépendance nationale d'un Etat gouverné par des fascistes), contre une nouvelle "nationalité européenne" qui m'apporterait plus de droits, plus de moyens de me défendre et je pense que tout travailleur raisonnerait ainsi.

Et d'ailleurs, si l'URSS avait finalement pu envahir la France, est-ce que les camarades alors au PCF auraient tous trouvé à y redire au nom de "l'indépendance nationale" que certains brandissent aujourd'hui comme ultime réponse à la catastrophique UE?

Rien n'est moins sûr, compte tenu de l'idéologie qui anima rapidement la IIIè Internationale.

- Par contre ce n'est pas parce que la question ne se pose pas en termes d'indépendance nationale, que l'Union Européenne est pour autant démocratique, ni qu'il ne faut pas la combattre.

Et là, nous avons un vrai combat, très difficile, mais qui ne nécessite pas non plus de passer par "l'indépendance nationale" (et même si une issue victorieuse de ce combat pourrait avoir en effet comme conséquence, cette indépendance).

Un combat, non pas pour rendre l'Union Européenne "plus démocratique" (elle ne le sera jamais car elle n'a pas été faite pour cela) - parenthèse: la seule position cohérente pour ceux qui militent pour "une UE démocratique et sociale" est au contraire donc de pousser à la transformation de cette UE, par la création d'un Etat européen, sinon leurs luttes seront réduites à néant et leurs appels ne sont qu' incantations mensongères - non, mais un combat pour restaurer LES démocraties en Europe et, à la rigueur, l'indépendance des Etats.

- La meilleure manière pour nous de le faire est, non pas de s'appuyer sur "la nation" (encore moins sur le nationalisme ou le souverainisme), mais bien sur le peuple et la citoyenneté.

Mais dans une perspective nouvelle. Créatrice.

Le moyen pour passer à cela et le seul moyen, je pense , est de proposer une nouvelle perspective politique, un nouveau projet politique qui est celui de la démocratie prolétarienne.

Le cœur de ce projet au nom un peu barbare est de faire du travail, de la classe ouvrière, des salariés.... des catégories politiques à part entière, au même titre que "la nation" et le "peuple", c'est à dire, de mon point de vue, de pousser le travail politique de Marx et Engels à son terme.

En faire, non pas des énièmes "sujets de droits" (plus de pouvoir dans les CE etc... non ce n'est pas une pseudo "république sociale", ce n'est pas cela que je vise ici).

Mais comme pouvoirs CONSTITUANTS et comme SOUVERAINS donc.

Au sens strict du terme.

- Je verrais une sorte d'équivalent, dans le monde, en tant que concept politique, à ce prolétariat comme sujet, qui dépasse états, nations et frontières, c'est peut être celui de l'Oumma (au sens originel), c'est à dire la "communauté des croyants" en Islam (et on ne rappellera jamais assez à quel point l'étude des religions comme communautés politiques, créatrices de règles, de coutumes, est importante pour notre réflexion, à maints égards).


Sur le paysage électoral actuel par rapport aux élections dans l'Union Européennes:

- Le Front de Gauche, ce magma obscur qui me semble destiné exclusivement à la promotion de Mélenchon (prochain candidat à la présidentielle de 2012 pour "La Gauche" française?), et à l'assassinat de ce qui reste du PCF, cette troïka qui flirte tellement avec les souverainistes ( à des fins purement électoralistes), et qui prétend encore nous faire arriver au mythe de "l'Europe sociale", ne répond absolument pas à ces questions.

Au contraire, pour de nombreuses raisons, cette initiative que je dirais sans problème "néo-stalinienne", contribue grandement à aggraver les maux dont nous souffrons déjà plus qu'assez dans le mouvement communiste. Tout soutien à cette "chose" est à proscrire pour de nombreuses raisons, j'en ai donc peur.

- Le projet du NPA, au niveau de l'UE, pour les élections dites européennes, ne correspond pas non plus à cette "troisième voie" qu'il me semble falloir chercher et découvrir. Il s'arrête à nouveau au milieu du gué, sans s'être débarrassé des faiblesses de la conception européenne trotsksite.

Les questions que je pose ici ne sont pas évoquées, et il n'y est pas répondu en termes politiques, (guère étonnant puisque le NPA semble se diriger vers ce qui ressemble de plus en plus à un "super-syndicalisme"). Et puis, peu ou prou, cette campagne souffre des mêmes maux que celles du Front de Gauche: "l'Europe sociale", une certaine dose d'opportunisme.

Pour le reste, les listes sont 100 % NPA- je le déplore. Mais je comprends paerfaitement que ce parti naissant ait besoin de se compter pour discuter à armes égales avec les autres partis qui composent la gauche.


En d'autres termes, il est très probable que pour moi, ces élections pour l' UE seront encore "ni l'un ni l'autre".

Est-ce à dire que nous devons ne pas nous battre contre l'Union Européenne d'une manière originale? Devons nous baisser les bras et nous laisser absorber par notre dégoût profond?

Non, et nous y reviendrons.

Car je n'appellerai pas forcément à l'abstention - cela ne me semble absolument pas constructif - et je crois que nous devons au contraire, trouver un moyen de manifester notre ras-le -bol de l'Union Européenne.

Ni stalinien, ni trotskiste, ni souverainiste:

COMMUNISTE!

lundi 21 janvier 2008

"Les deux méthodes", Jean JAURES - discours du 26 novembre 1900



Entre autres choses, Jaurès, dans ce discours, développe notamment une thématique dont on se rend bien compte qu'elle est marxiste car dialectique. On pourrait croire parfois,à relire ce texte, que le PS d'aujourd'hui est toujours l'héritier de Jaurès qu'il se prétend encore être, mais il n'en est RIEN.

Entre autre chose, Jaurès analyse la participation d'un socialiste au gouvernement bourgeois. C'est très intéressant.

Car c'est une conception assez proche de la conception léniniste au fond. Il ne l'envisage comme moyen d'action que si c'est une manière pour un socialisme révolutionnaire de gangréner le capitalisme et la bourgeoisie de l'intérieur. Il faut l'exacte comparaison avec les Jésuites qui se diffusent à l'extérieur mais sont imprenables (et donc incorruptibles) à l'intérieur.

J'ai bien relu ce texte que je n'avais plus lu depuis quelques années et je crois pouvoir en tirer la conclusion que la participation aux institutions bourgeoises dont parle ici Jean Jaurès et ce que nous connaissons actuellement n'ont absolument plus rien à voir.

Je crois même que ce texte de Jaurès ne pourrait que lui faire dire aujourd'hui ce que nous sommes nombreux à dire ici ou là: les socialistes et les communistes devraient se détacher des socio démocrates majoritaires au PS, quitte ensuite à préférer en effet de façon "objective" et selon les idées développées par Marx, Engels, Lénine et Jaurès, un type de gouvernement bourgeois plutôt qu'un autre. Mais cela ne peut se faire que dans le mesure où les choses sont claires.

Force est de constater que le PS (et le PCF) ont commis exactement toutes les erreurs que Jaurès pointe du doigt dans ce texte, même si je ne partage pas tout ce que Jaurès a pu dire là (et notamment la réflexion qui affleure sur la relation entre classe prolétaire et parti socialiste...)

Bonne lecture et bonne réflexion - La Louve

"CITOYENS,

Le plus grand plaisir que vous puissiez nous faire, ce n'est pas de nous acclamer, c'est de nous écouter. C'est un grand honneur pour le Parti Socialiste d'instituer des débats comme celui de ce soir et je crois pouvoir dire qu'il est le seul parti qui ait assez de foi dans la puissance de ses principes, pour instituer ainsi entre ses militants un débat politique.

Nous n'avons rien à cacher, nous sommes le parti de la discipline dans l'action, prêt à nous incliner toujours pour la conduite à tenir devant la décision régulière du parti organisé, mais nous sommes en même temps le parti de la liberté, toujours à l'éveil sur les meilleurs moyens d'émanciper le prolétariat.

Je suis venu m'expliquer ici sans violence aucune, mais sans aucune réticence.

L'Origine du Dissentiment

D'où est né, quand et comment, le dissentiment entre Guesde et moi ? Et quand je dis Guesde et moi, il est bien entendu qu'il ne s'agit pas d'une misérable querelle personnelle. Le débat, le dissentiment entre nous est bien plus noble et en même temps plus grave, puisqu'il s'agit non pas de vieilles et odieuses rivalités dont ont parlé nos ennemis communs, mais d'un dissentiment de tactique et de méthode que nous avons le devoir de soumettre au Parti et que le Parti jugera souverainement ! (Bravos.)

Eh bien ! quand donc est né ce dissentiment ?

On a dit, on a répété qu'il a pris naissance à l'entrée d'un socialiste dans un ministère bourgeois et, en effet, cet événement a aggravé, a accusé les dissentiments de méthode qui existaient déjà et je m'expliquerai bientôt là-dessus, mais il ne l'a point créé. Le dissentiment existait déjà, il s'était déjà manifesté à propos de l'affaire Dreyfus.

Vous vous rappelez, en effet, que pendant que plusieurs de nos compagnons de lutte et moi, nous étions engagés dans cette bataille, résolus à la mener jusqu'au bout, il apparut, dès le mois de juillet 1898, un manifeste du Conseil National de nos camarades du Parti Ouvrier Français et ce manifeste avertissait les travailleurs, avertissait les prolétaires de ne pas s'engager trop avant dans cette bataille et de réserver leurs forces pour la lutte de classes.

Plus tard, quand parut le manifeste retentissant au lendemain de l'entrée de Millerand dans le ministère, le manifeste déclarait qu'il était du devoir des socialistes, non pas seulement de parer à cet événement particulier, mais de corriger, de redresser des déviations qui, d'après le manifeste, remontaient à deux années au moins. C'était encore une condamnation nouvelle de la tactique que plusieurs d'entre nous avions suivie, à propos de l'affaire Dreyfus.

Et plus récemment, dans le discours qu'il prononçait à la mort de Liebknecht, dans la salle Vantier, Guesde, revenant sur cette question redoutable, déclarait, une fois de plus, que nous avions eu tort d'entrer dans une bataille mal engagée – que nous avions ainsi servi les intérêts du nationalisme – non, que c'était à la bourgeoisie à réparer les erreurs de la société bourgeoise et qu'enfin, par cette lutte, nous avions déserté le terrain de la lutte de classes. J'ai donc le droit de dire, sans que nul puisse me démentir que ce n'est pas à propos de la question Millerand que le dissentiment des méthodes s'est produit pour la première fois entre nous, mais que c'est à propos de l'affaire Dreyfus et que c'est à partir de ce moment. (Cris de : Vive Guesde ! Silence, silence.)

DELORY. – Voyons, citoyens, on vous a demandé de ne pas faire d'interruptions, écoutez ; vous serez alors libres de juger quelle est la méthode que vous voulez adopter.

JAURES. – Je crois que mes paroles ne peuvent blesser personne. J'ai résumé précisément les objections dirigées contre nous par les contradicteurs et j'ai dit tout de suite : puisque, à propos de ce conflit qui a ému toute l'humanité pensante et où nous avons cru devoir prendre parti, non seulement pour défendre la personne humaine outragée, mais dans l'intérêt même du prolétariat ; puisque, à propos de ce conflit, on a dit que nous avions abandonné le terrain du socialisme, le terrain de la lutte de classes, je dis que la première question que nous devons poser est celle-ci : Qu'est-ce donc que la lutte de classes ? Que signifie ce principe si souvent invoqué et si rarement défini ?


La Lutte de Classes

A mes yeux, citoyens, l'idée de la lutte de classes, le principe de la lutte de classes, est formé de trois éléments, de trois idées.

D'abord, et à la racine même, il y a une constatation de fait, c'est que le système capitaliste, le système de la propriété privée des moyens de production, divise les hommes en deux catégories, divise les intérêts en deux vastes groupes, nécessairement et violemment opposés. Il y a, d'un côté, ceux qui détiennent les moyens de production et qui peuvent ainsi faire la loi aux autres, mais il y a de l'autre côté ceux qui, n'ayant, ne possédant que leur force-travail et ne pouvant l'utiliser que par les moyens de production détenus précisément par la classe capitaliste, sont à la discrétion de cette classe capitaliste.

Entre les deux classes, entre les deux groupes d'intérêts, c'est une lutte incessante du salarié, qui veut élever son salaire et du capitaliste qui veut le réduire ; du salarié qui veut affirmer sa liberté et du capitaliste qui veut le tenir dans la dépendance.

Voilà donc le premier élément de la lutte de classes. La condition de fait qui le fonde, qui le détermine, c'est le système de la propriété capitaliste, de la propriété privée. Et remarquez-le bien : comme ici il s'agit des moyens de travailler et, par conséquent, des moyens de vivre, il s'agit de ce qu'il y a pour les hommes d'essentiel, de fondamental, il s'agit de la vie privée, de la vie de tous les jours. Et, par conséquent, un conflit qui a, pour principe, la division d'une société en possédants et en non-possédants n'est pas superficiel ; il va jusqu'aux racines mêmes de la vie. (Vifs applaudissements.)

Mais, citoyens, il ne suffit pas pour qu'il y ait lutte de classes qu'il y ait cet antagonisme entre les intérêts. Si les prolétaires, si les travailleurs ne concevaient pas la possibilité d'une société différente, si tout en constatant la dépendance où ils sont tenus, la précarité dont ils souffrent, ils n'entrevoyaient pas la possibilité d'une société nouvelle et plus juste ; s'ils croyaient, s'ils pouvaient croire à l'éternelle nécessité du système capitaliste, peu à peu cette nécessité s'imposant à eux, ils renonceraient à redresser un système d'injustices. Cette tâche ne leur apparaîtrait pas comme possible. (Interruptions.)

DELORY. – Pas d'interruptions, citoyennes et citoyens. S'il y a encore des interruptions, je vais être obligé de prier les commissaires de salle de faire sortir les interrupteurs. (Applaudissements et nouvelles interruptions.)

Citoyennes et citoyens, croyez-vous qu'il ne serait pas plus digne pour les deux personnes qui ont à parler de ne pas faire d'interruptions ? Si vous interrompez, vous avez l'air de supposer que Guesde n'est pas capable de répondre à Jaurès ; si vous interrompez Guesde, vous aurez l'air de supposer la même chose pour Jaurès.

Je crois que les deux camarades que nous avons devant nous ont assez de talent pour pouvoir nous expliquer les deux théories qui sont en présence, sans qu'il y ait des interruptions qui, ainsi que je l'ai dit au début, ne pourront que troubler la discussion. (Applaudissements.)


JAURES. – Donc, pour qu'il y ait vraiment lutte de classes, pour que tout le prolétariat organisé entre en bataille contre le capitalisme, il ne suffît pas qu'il y ait antagonisme des intérêts entre les capitalistes et les salariés, il faut que les salariés espèrent, en vertu des lois mêmes de l'évolution historique, l'avènement d'un ordre nouveau dans lequel la propriété cessant d'être monopoleuse, cessant d'être particulière et privée, deviendra sociale, afin que tous les producteurs associés participent à la fois à la direction du travail et au fruit du travail.

Il faut donc que les intérêts en présence, prennent conscience d'eux-mêmes, comme étant, si je puis dire, déjà deux sociétés opposées, en lutte, l'une, la société d'aujourd'hui, inscrite dans le titre de la propriété bourgeoise, l'autre, la société de demain, inscrite dans le cerveau des prolétaires.

C'est cette lutte des deux sociétés dans la société d'aujourd'hui qui est un élément nécessaire à la lutte de classes.

Et enfin, il faut une troisième condition pour qu'il y ait lutte de classes. Si le prolétariat pouvait attendre sa libération, s'il pouvait attendre la transformation de l'ordre capitaliste en ordre collectiviste ou communiste d'une autorité neutre, arbitrale, supérieure aux intérêts en conflit, il ne prendrait pas lui-même en main la défense de la cause.

C'est ce que prétendent, vous le savez, les socialistes chrétiens dont quelques-uns reconnaissent la dualité, l'antagonisme des intérêts, mais qui disent au peuple : " Ne vous soulevez pas, ne vous organisez pas, il y a une puissance bienfaisante et céleste, la puissance de l'Église, qui fera descendre parmi vous, sans que vous vous souleviez, la justice fraternelle. "

Eh bien ! si les travailleurs croyaient cela, ils s'abandonneraient à la conduite de cette puissance d'En-Haut et il n'y aurait pas de lutte de classes. Il n'y aurait pas de classe encore si les travailleurs pouvaient attendre leur libération de la classe capitaliste elle-même, de la classe privilégiée elle-même, cédant à une inspiration de justice.

Vous savez, citoyennes et citoyens, que tant qu'a duré la période de ce que Marx et Engels ont appelé le "Socialisme utopique", les socialistes croyaient que la libération du prolétariat se ferait par en haut.

Robert Owen, le grand communiste anglais, faisait appel, pour réaliser la justice sociale, aux puissances de la Sainte-Alliance réunie au Congrès de Vienne. Fourier, notre grand Fourier, attendait tous les jours l'heure qu'il avait marquée, la venue du donateur généreux qui lui apporterait le capital nécessaire pour fonder la première communauté, et il espérait que le seul exemple de cette communauté radieuse se propageant de proche en proche, étendant pour ainsi dire les cercles d'organisation et d'harmonie, suffirait à émanciper et à réjouir les hommes.

Et, plus tard, à un autre point de vue, Louis Blanc s'imaginait que c'était la bourgeoisie, à condition qu'elle revînt à certaines inspirations de 1793, qui pourrait affranchir les prolétaires. A la fin de son Histoire de Dix ans, il invitait la classe bourgeoise à se constituer la tutrice du prolétariat.

Tant que le prolétariat a pu attendre ainsi des tuteurs, tuteurs célestes ou tuteurs bourgeois, tant qu'il a pu attendre son affranchissement d'autres puissances que de la sienne, d'autres forces que la sienne, il n'y a pas eu lutte de classes.

La lutte de classes a commencé le jour où, à l'expérience des journées de Juin, le prolétariat a appris que c'était seulement dans sa force à lui, dans son organisation, qu'il portait l'espérance du salut.

C'est ainsi que le principe de la lutte de classes, qui suppose d'abord la division de la société en deux grandes catégories contraires, les possédants et les non-possédants ; qui suppose ensuite que les prolétaires ont pris conscience de la société de demain et de l'expérience collectiviste, c'est ainsi que la lutte de classes s'est complétée par la conviction acquise par le prolétariat qu'il devait s'émanciper lui-même et pouvait seul s'émanciper. (Applaudissements prolongés ! Bravos.)

La Question de Tactique

Voilà, citoyens, comment m'apparaît, comment je définis la lutte de classes et j'imagine qu'en ce point il ne pourra pas y avoir de contradiction grave entre nous. Mais je dis que, quand vous l'avez ainsi analysée, quand vous l'avez ainsi définie, il vous est impossible d'en faire usage pour déterminer d'avance, dans le détail, la tactique de chaque jour, la méthode de chaque jour.

Oui, le principe de la lutte de classes vous oblige à faire sentir aux prolétaires leur dépendance dans la société d'aujourd'hui. Oui, il vous oblige à leur expliquer l'ordre nouveau de la propriété collectiviste. Oui, il vous oblige à vous organiser en syndicats ouvriers, en groupes politiques, en coopératives ouvrières, à multiplier les organismes de classe.

Mais il ne vous est pas possible, par la seule idée de la lutte de classes, de décider si le prolétariat doit prendre part à la lutte électorale et dans quelles conditions il doit y prendre part ; s'il peut ou s'il doit et dans quelles conditions il peut ou il doit s'intéresser aux luttes des différentes fractions bourgeoises. Il ne vous est pas possible de dire, en vertu du seul principe de la lutte de classes, s'il vous est permis de contracter ou si vous êtes tenus de répudier toutes les alliances électorales.

Ce principe si général, vous indique une direction générale ; mais il ne vous est pas plus possible d'en déduire la tactique de chaque jour, la solution des problèmes de chaque jour, qu'il ne vous suffirait de connaître la direction générale des vents pour déterminer d'avance le mouvement de chaque arbre, le frisson de chaque feuille dans la forêt.

De même, vous aurez beau connaître tout le plan de campagne d'un général, il vous sera impossible, par connaissance générale de ce plan de campagne, de déterminer d'avance tous les mouvements particuliers d'offensive ou de défensive, d'escalade ou de retraite que devra accomplir chacune des unités tactiques qui composent l'armée.

Par conséquent, au nom de la lutte de classes, nous pouvons nous reconnaître entre nous pour les directions générales de la bataille à livrer ; mais, quand il s'agira de déterminer dans quelle mesure nous devons nous engager, dans l'affaire Dreyfus, ou dans quelle mesure les socialistes peuvent pénétrer dans les pouvoirs publics, il vous sera impossible de résoudre cette question en vous bornant à invoquer la formule générale de la lutte de classes.

Dans chaque cas particulier, il faudra que vous examiniez l'intérêt particulier du prolétariat. C'est donc une question de tactique et nous ne disons pas autre chose. (Applaudissements répétés.)

De même, il n'est pas possible que vous prétendiez introduire le principe de la lutte de classes en disant, comme le font souvent nos contradicteurs, que le Parti Socialiste doit toujours être un parti d'opposition. Je dis qu'une pareille formule est singulièrement équivoque et singulièrement dangereuse.

Oui, le Parti Socialiste est un parti d'opposition continue, profonde, à tout le système capitaliste, c'est-à-dire que tous nos actes, toutes nos pensées, toute notre propagande, tous nos votes doivent être dirigés vers la suppression la plus rapide possible de l'iniquité capitaliste. Mais, de ce que le Parti Socialiste est donc essentiellement, un parti d'opposition à tout le système social, il ne résulte pas que nous n'ayons à faire aucune différence entre les différents partis bourgeois et entre les différents gouvernements bourgeois qui se succèdent.

Ah oui ! la société d'aujourd'hui est divisée entre capitalistes et prolétaires ; mais, en même temps, elle est menacée par le retour offensif de toutes les forces du passé, par le retour offensif de la barbarie féodale, de la toute-puissance de l'Eglise, et c'est le devoir des socialistes, quand la liberté républicaine est en jeu, quand la liberté de conscience est menacée, quand les vieux préjugés qui ressuscitent les haines de races et les atroces querelles religieuses des siècles passés paraissent renaître, c'est le devoir du prolétariat socialiste de marcher avec celle des fractions bourgeoises qui ne veut pas revenir en arrière. (Applaudissements bruyants et prolongés.)

Je suis étonné, vraiment, d'avoir à rappeler ces vérités élémentaires qui devraient être le patrimoine et la règle, de tous les socialistes. C'est Marx lui-même qui a écrit cette parole admirable de netteté : " Nous socialistes révolutionnaires, nous sommes avec le prolétariat contre la bourgeoisie et avec la bourgeoisie contre les hobereaux et les prêtres. " (Vifs applaudissements.)

UN CITOYEN. – Ce n'est pas vrai.

DELORY. – Citoyens, il est regrettable qu'une pareille interruption, se soit produite pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure.

JAURES. – Citoyens, j'ai reconnu le camarade qui m'a adressé cette interruption désobligeante, et je me borne à lui dire ceci : vous vérifierez avec vos amis, nous vérifierons l'exactitude de la citation que j'ai faite et, si elle est exacte, je ne vous demanderai qu'une chose comme réparation : c'est, dans une de nos prochaines réunions, de venir en témoigner loyalement à la tribune. (Bravos.)

Et de même qu'il est impossible au prolétariat socialiste, sans manquer à tous ses devoirs, à toutes ses traditions et à tous ses intérêts, de ne pas faire une différence entre les fractions bourgeoises les plus violemment rétrogrades et celles qui veulent au moins sauver quelques restes ou quelque commencement de liberté, il est impossible, particulièrement aux élus socialistes, de ne pas faire une différence entre les divers gouvernements bourgeois.

Je n'ai pas besoin d'insister là-dessus, et le bon sens révolutionnaire du peuple fait, lui, une différence entre le ministère Méline et le ministère Bourgeois ; il fait une différence entre le ministère d'aujourd'hui et les combinaisons nationalistes qui le guettent, et je n'en veux d'autre preuve que le vote unanime du groupe socialiste, qui, l'autre jour...

UN CITOYEN, ironiquement. – Pour Chalon ?


JAURES. – Prenez garde, vous croyez m'embarrasser en me jetant ce mot.

DELORY. – Citoyennes et citoyens, permettez-moi de m'adresser à un vieux camarade, fondateur du Parti, c'est-à-dire dans nos rangs depuis plus de vingt ans, pour lui dire qu'il devait être le premier à avoir la patience d'attendre la réponse du camarade Guesde.

Vous savez la conséquence des interruptions ; j'en appelle au témoignage des camarades sincères du Parti ; qu'ils prennent garde, en commençant les interruptions, de donner la faveur à des adversaires de les continuer pour troubler la réunion. (Applaudissements.)

L'Affaire Dreyfus

JAURES. – J'ajoute, citoyens, pour aller jusqu'au bout de ma pensée : il y a des heures où il est de l'intérêt du prolétariat d'empêcher une trop violente dégradation intellectuelle et morale de la bourgeoisie elle-même et voilà pourquoi, lorsque, à propos d'un crime militaire, il s'est élevé entre les diverses fractions bourgeoises la lutte que vous savez, et lorsqu'une petite minorité bourgeoise, contre l'ensemble de toutes les forces de mensonges déchaînées, a essayé de crier justice et de faire entendre la vérité, c'était le devoir du prolétariat de ne pas rester neutre, d'aller du côté où la vérité souffrait, où l'humanité criait.


Guesde a dit à la salle Vantier " que ceux qui admirent la société capitaliste s'occupent d'en redresser les erreurs ; que ceux qui admirent, disait-il, le soleil capitaliste, s'appliquent à en effacer les taches. "

Eh bien ! qu'il me permette de lui dire ; le jour où contre un homme un crime se commet ; le jour où il se commet par la main de la bourgeoisie, mais où le prolétariat, en intervenant, pourrait empêcher ce crime, ce n'est plus la bourgeoisie seule qui en est responsable, c'est le prolétariat lui-même ; c'est lui qui, en n'arrêtant pas la main du bourreau prêt à frapper, devient le complice du bourreau ; et alors ce n'est plus la tache qui voile, qui flétrit le soleil capitaliste déclinant, c'est la tache qui vient flétrir le soleil socialiste levant. Nous n'avons pas voulu de cette flétrissure de honte, sur l'aurore du prolétariat. (Applaudissements et bravos prolongés.)

Ce qu'il y a de singulier, ce qu'il faut que tout le Parti Socialiste en Europe et ici, sache bien, c'est qu'au début même de ce grand drame, ce sont les socialistes révolutionnaires qui m'encourageaient le plus, qui m'engageaient le plus à entrer dans la bataille.

Il faut que vous sachiez, camarades, comment devant le groupe socialiste de la dernière législature, la question s'est posée.

Quand elle vint pour la première fois, quand nous eûmes à nous demander quelle attitude nous prendrions, le groupe socialiste se trouva partagé à peu près en deux.

D'un côté, il y avait ceux que vous me permettrez bien d'appeler, ceux qu'on appelait alors les modérés du groupe. C'était Millerand, c'était Viviani, c'était Jourde, c'était Lavy, qui disaient :

" Voilà une question dangereuse, et où nous ne devons pas intervenir. "

De l'autre côté, il y avait ceux qu'on pouvait appeler alors la gauche révolutionnaire du groupe socialiste. Il y avait Guesde, Vaillant et moi qui disions : "Non, c'est une bataille qu'il faut livrer."

Ah ! je me rappelle les accents admirables de Guesde lorsque parut la lettre de Zola. Nos camarades modérés du groupe socialiste disaient : "Mais Zola n'est point un socialiste ; Zola est, après tout, un bourgeois. Va-t-on mettre le Parti Socialiste à la remorque d'un écrivain bourgeois ?"

Et Guesde, se levant comme il suffoquait d'entendre ce langage, alla ouvrir la fenêtre de la salle où le groupe délibérait, en disant : "La lettre de Zola, c'est le plus grand acte révolutionnaire du siècle ! " (Applaudissements prolongés et répétés.)

Et puis, lorsque, animé par ces paroles, en même temps que par ma propre conviction, lorsque j'allais témoigner au procès Zola ; lorsque, devant la réunion des colonels, des généraux dont on commençait alors à soupçonner les crimes, sans les avoir profondément explorés ; lorsque j'eus commencé à témoigner, à déposer, et que je revins à la Chambre, Guesde me dit ces paroles dont je me souviendrai tant que je vivrai : " Jaurès, je vous aime, parce que, chez vous, l'acte suit toujours la pensée. " (Ovation prolongée.)

Et, comme les cannibales de l'Etat-Major continuaient à s'acharner sur le vaincu, Guesde me disait : "Que ferons-nous un jour, que feront un jour les socialistes d'une humanité ainsi abaissée et ainsi avilie ? Nous viendrons trop tard, disait-il avec une éloquente amertume ; les matériaux humains seront pourris, lorsque ce sera notre tour de bâtir notre maison. "

Eh bien ! pourquoi après ces paroles, pourquoi après ces déclarations, le Conseil national du Parti, quelques mois après, au mois de juillet, a-t-il essayé de faire sortir le prolétariat de cette bataille ?

Peut-être, j'ai essayé de me l'expliquer bien des fois, les révolutionnaires ont-ils trouvé que nous nous attardions trop dans ce combat, que nous y dépensions trop de notre force et de la force du peuple ?

Mais qu'ils me permettent de leur dire : où sera, dans les jours décisifs l'énergie révolutionnaire des hommes si, lorsqu'une bataille comme celle-là est engagée contre toutes les puissances du mensonge, contre toutes les puissances d'oppression, nous n'allons pas jusqu'au bout ?

Pour moi, j'ai voulu continuer, j'ai voulu persévérer jusqu'à ce que la bête venimeuse ait été obligée de dégorger son venin. (Bravos, bravos.)

Oui, il fallait poursuivre tous les faussaires, tous les menteurs, tous les bourreaux, tous les traîtres ; il fallait les poursuivre à la pointe de la vérité, comme à la pointe du glaive, jusqu'à ce qu'ils aient été obligés à la face du monde entier de confesser leurs crimes, l'ignominie de leurs crimes. (Longs applaudissements et bravos.)

Et, remarquez-le, le manifeste par lequel on nous signifiait d'avoir à abandonner cette bataille, paru en juillet, a précédé de quelques semaines l'aveu, qu'en persévérant, nous avons arraché au colonel Henry.

Eh bien ! laissez-moi me féliciter de n'avoir pas entendu la sonnerie de retraite qu'on faisait entendre à nos oreilles ; d'avoir mis la marque du prolétariat socialiste, la marque de la Révolution sur la découverte d'un des plus grands crimes que la caste militaire ait commis contre l'humanité. (Applaudissements.)

Ce n'était pas du temps perdu, car, pendant que s'étalaient ses crimes, pendant que vous appreniez à connaître toutes ses hontes, tous ses mensonges, toutes ses machinations, le prestige du militarisme descendait tous les jours dans l'esprit des hommes et sachez-le, le militarisme n'est pas dangereux seulement parce qu'il est le gardien armé du capital, il est dangereux aussi parce qu'il séduit le peuple par une fausse image de grandeur, par je ne sais quel mensonge de dévouement et de sacrifices.

Lorsqu'on a vu que cette idole si glorieusement peinte et si superbe ; que cette idole qui exigeait pour le service de ses appétits monstrueux, des sacrifices de générations ; lorsqu'on a vu qu'elle était pourrie, qu'elle ne contenait que déshonneur, trahison, intrigues, mensonges, alors le militarisme a reçu un coup mortel, et la Révolution sociale n'y a rien perdu. (Vifs applaudissements.)


UN CITOYEN. – Vive Galliffet.


JAURES.- Je dis qu'ainsi le prolétariat a doublement rempli son devoir envers lui-même. Et c'est parce que dans cette bataille le prolétariat a rempli son devoir envers lui-même, envers la civilisation et l'humanité ; c'est parce qu'il a poussé si haut son action de classe, qu'au lieu d'avoir, comme le disait Louis Blanc, la bourgeoisie pour tutrice, c'est lui qui est devenu dans cette crise le tuteur des libertés bourgeoises que la bourgeoisie était incapable de défendre ; c'est parce que le prolétariat a joué un rôle décisif dans ce grand drame social que la participation directe d'un socialiste à un ministère bourgeois a été rendue possible.

La Question Millerand

De quelque manière que vous jugiez l'entrée de Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau ; de quelque manière que vous jugiez la tactique ainsi inaugurée et les résultats qu'elle a produits, tous vous êtes d'accord pour dire qu'en tout cas, l'entrée d'un socialiste dans un ministère bourgeois est un signe éclatant de la croissance, de la puissance du Parti Socialiste.

Vous vous rappelez que c'est ce que proclamait, il y a un an, le citoyen Lafargue lui-même. Opposé, dès la première heure, à l'entrée de Millerand dans le ministère, il déclarait cependant que c'était là un symptôme décisif de la force croissante de notre parti.

Je me souviens qu'il y a quelques semaines, à la clôture du Congrès international, quand les délégués du Socialisme international allèrent porter une couronne au Mur des Fédérés, malgré le stupide déploiement de police du préfet Lépine, le socialiste allemand Singer qui représente pourtant l'extrême gauche du mouvement allemand , qui avait été le seul de ses camarades à voter contre la motion transactionnelle de Kautsky, le citoyen Singer disait : " On ne peut approuver l'entrée d'un socialiste dans un ministère bourgeois ; mais je ne puis cependant ne pas dire que, tandis qu'il y a trente années, la bourgeoisie fusillait ici les prolétaires, le parti socialiste a tellement grandi, qu'en une heure de péril, pour sauver les libertés élémentaires, la bourgeoisie est obligée d'appeler un des nôtres. "

Donc, il n'y aura pas sur ce point de doute entre nous. Quelque jugement que nous portions sur le fond même de la chose, nous serons unanimes à proclamer devant tous les partis bourgeois qu'elle atteste la force croissante de notre parti.


Maintenant est-il juste, est-il sage, est-il conforme au principe, qu'un socialiste participe au gouvernement de la bourgeoisie ?

Citoyens, l'heure est venue, il me semble, de discuter cette question avec calme.

Jusqu'ici nous ne l'avons discutée que dans les tempêtes et pour ma part – ne vous fâchez pas de ce ressouvenir – si je me reporte au Congrès de décembre, il y a un an, et au Congrès plus récent de la fin septembre, je me rappelle avoir entendu des arguments à coup sûr, mais aussi beaucoup de cris variés de : " Galliffet ! Chalon ! La Martinique !... "

J'imagine que nous avons cessé de discuter de cette façon, parce que, prenez-y garde, ces procédés de discussion, au moyen desquels on a prétendu nous frapper, pourraient blesser vos amis eux-mêmes. Vous nous avez crié "Galliffet" pour signifier qu'en approuvant l'entrée de M. Millerand au ministère, nous étions ainsi, pour ainsi dire, responsables et solidaires de tous les actes passés de Galliffet.

Prenez-y garde, camarades, qui me faites un signe d'interruption silencieux dont je vous remercie, puisqu'il m'avertit sans troubler l'ordre de l'assemblée, prenez-y garde.

Vous autres, ici, à Lille, les travailleurs lillois, deux mois après l'entrée de Millerand au ministère, vous l'avez reçu ici, vous l'avez fêté ici, vous l'avez acclamé ici, et j'imagine, quoiqu'il fût dès lors le collègue de Galliffet, que vous ne vouliez pas acclamer en même temps Galliffet lui-même. Par conséquent, ne nous envoyez pas une flèche qui rebondirait vers vous. (Très bien ! Très bien ! Bravos.)

Et maintenant, je ne veux dire que quelques mots des douloureux événements de la Martinique et de ChaIon mais laissez-moi rappeler à ceux de nos camarades qui se laissent emporter jusqu'à en faire un grief contre nous qu'ils commettent une confusion étrange.

Lorsqu'on soutient un ministère dans la société bourgeoise, même un ministère où il y a un socialiste, cela n'implique pas qu'on ait la naïveté d'attendre de ce ministère et d'aucun ministère bourgeois, l'entière justice et l'entière déférence aux intérêts du prolétariat. Nous savons très bien que la société capitaliste est la terre de l'iniquité et que nous ne sortirons de l'iniquité qu'en sortant du capitalisme.

Mais nous savons aussi qu'il y a des ennemis plus forcenés dans la société bourgeoise, des adversaires plus haineux et plus violents les uns que les autres ; et lorsque nous soutenons un ministère, ce n'est pas pour ce ministère, c'est contre les autres plus mauvais. qui voudraient le remplacer pour vous faire du mal.

Alors c'est une injustice meurtrière de nous reprocher les, fautes, les erreurs ou les crimes de ceux que nous ne soutenons que pour empêcher des crimes plus grands. (Vifs applaudissements.)

Laissez-moi vous dire, pour la Martinique, qu'à peine le massacre des Français fut-il connu en Europe et lorsque arrivèrent les premières lettres à nos amis et les premiers rapports au gouvernement, le groupe socialiste des Antilles, réuni à Paris, fit une démarche auprès du ministre.

Il lui demanda trois choses : il lui demanda le déplacement ces magistrats qui avaient le plus brutalement condamné les grévistes ; il lui demanda la disgrâce, la peine disciplinaire la plus forte contre l'officier Kahn, contre l'officier meurtrier.

UNE VOIX. – Il fallait le fusiller !

JAURES. – Et il demanda enfin la mise en liberté immédiate de tous les prolétaires noirs condamnés pour faits de grève.

L'officier a été frappé, les juges ont été déplacés et, par câble, l'ordre a été donné de remettre en liberté tous les ouvriers grévistes condamnés. (Bravos.)

En ce qui concerne les grèves de France, je ne dis qu'une chose : Le gouvernement a adopté une tactique, dont, malgré tout, dans l'avenir, s'ils savent l'imposer toujours, les prolétaires pourront bénéficier : c'est de ne pas dessaisir de la police les municipalités.

Vous savez bien que les patrons de Marseille, comme M. Thierry, ont fait grief au gouvernement de n'avoir pas enlevé la police au maire socialiste de Marseille, à notre ami le citoyen Flaissières.

A Chalon, c'est le crime de la municipalité interdisant le cortège qui a été la cause de la bagarre et l'occasion du meurtre.

Malgré tout, parce que nous savons que les prolétaires auront plus de garantie, si ce sont les municipalités élues par eux, vivant au milieu d'eux qui gardent la police, il faut persister à demander que la police soit laissée aux mains des municipalités.

Et laissez-moi vous le dire, si vous aviez le droit, parce que nous avons soutenu contre le nationalisme, contre la réaction, le ministère Waldeck-Rousseau, si vous aviez le droit de nous accuser de je ne sais quelle complicité dans lest crimes de la Martinique et de ChaIon, que diriez-vous à vos amis eux-mêmes ?

Quoi ! vous avez réuni sur cette estrade, et je vous demande la permission de parler en toute liberté – vous avez réuni sur cette estrade les maires du Parti Ouvrier Français. Eh bien ! je vous le demande, si la politique du gouvernement pouvait se caractériser par la Martinique et par Chalon, si ces crimes-là en étaient l'expression vraie et la caractéristique, que diriez-vous des municipalités élues qui auraient accepté, comme l'ont fait les vôtres – et elles ont eu raison – d'aller rompre le pain de l'hospitalité, au même banquet que les gouvernants meurtriers ?

Quoi ! le maire de Lille, le citoyen Delory, le maire de Fourmies – de Fourmies ! la ville assassinée – tous ces maires élus, tous ceux qui portent en eux la responsabilité de la cité vont s'asseoir à la même table que Waldeck-Rousseau, et lorsque la Chambre est rentrée, lorsque le Parlement est réuni, lorsqu'il y a une interpellation sur la politique générale, lorsqu'il ne s'agit plus seulement de Chalon et de la Martinique, mais de Sipido, ignominieusement expulsé, mais de Morgari chassé ; lorsqu'il s'agit de tout cela, telle est pourtant la force des choses, tel est l'intérêt suprême du prolétariat à ne pas se livrer à la réaction nationaliste et cléricale, que tous vos élus, tous, tous, Zévaès qui est ici, comme Vaillant, tous ont donné un vote de défiance au gouvernement.

Prenez garde, si vous dites Chalon et La Martinique, ce n'est pas moi seul que vous frapperez ! (Vifs applaudissements et bravos)

Nous pouvons donc, nous élevant au-dessus de ces polémiques personnelles et de ces luttes fratricides, nous pouvons regarder la question de principe en elle-même et pour elle-même.

Je me permets de vous dire avec l'assurance peut-être présomptueuse de n'être pas démenti par les années qui vont venir, je me permets de vous dire que le Parti socialiste, depuis trente ans, a essayé une forme nouvelle d'action toutes les fois qu'il a renoncé à son abstention première, qualifiée révolutionnaire, pour entrer dans l'action et se mêler aux événements, toujours il y a eu des intransigeants qui ont adressé au Parti socialiste les reproches que quelques-uns d'entre vous adressent aujourd'hui à la participation d'un socialiste à un gouvernement bourgeois.

Tactique

Ah ! citoyens, depuis trente ans, le Parti socialiste a fait du chemin dans le monde. Il s'est mêlé à beaucoup d'événements, à beaucoup d'institutions en dehors desquelles il se tenait d'abord. Nous discutons aujourd'hui pour savoir si le Parti Socialiste doit participer à l'action parlementaire.

N'allez pas pourtant vous imaginer, camarades, qu'il en a toujours été ainsi. Il y a eu dans l'histoire du Parti. socialiste depuis trente ans, un moment où ceux qui conseillaient l'entrée des socialistes ans le Parlement étaient combattus aussi violemment, dénoncés aussi âprement que nous, nous le sommes aujourd'hui.

Ecoutez, je vous prie, ce qu'écrivait, en 1869, le grand socialiste démocrate dont l'humanité socialiste a pleuré la mort, le citoyen, le compagnon Wilhelm Liebknecht.

En 1869, au moment où venait. d'être créé depuis deux ans déjà le suffrage universel en Allemagne, pour le Parlement de la confédération de l'Allemagne du Nord, Liebknecht a écrit une brochure pour chercher ce que les socialistes pouvaient et devaient faire au Parlement.

Non seulement il ne voulait pas qu'on s'y occupât d'action réformatrice, mais il considérait que la tribune parlementaire était inutile, même pour les discours de pure propagande et il disait :

" Nos discours ne peuvent avoir aucune influence directe sur la législation ; nous ne convertissons pas le Parlement par des paroles, par nos discours nous ne pouvons jeter dans la masse des vérités qu'il ne soit possible de mieux divulguer d'une autre manière.

Quelle utilité pratique offrent alors les discours au Parlement ? Aucune ; et parler sans but, constitue la satisfaction des imbéciles.

Pas un seul avantage.

Et voici de l'autre côté les désavantages : Sacrifice des principes, abaissement de la lutte politique, réduite à une escarmouche parlementaire ; faire croire au peuple que le Parlement bismarkien est appelé à résoudre la question sociale serait une imbécillité ou une trahison. "

Voilà comment, en 1869, apparaissait aux socialistes démocrates l'action même, l'action de propagande de nos élus dans le Parlement. J'imagine que vous avez reconnu là, appliquées à un objet différent, les condamnations que l'on porte contre nous à propos de l'entrée d'un socialiste dans un ministère bourgeois.

Quelques années après, pourtant, entraîné par l'irrésistible mouvement des choses, non seulement Liebknecht demeurait un combattant à l'assemblée de l'Empire, mais il entrait au Landtag saxon, où on ne peut entrer qu'en prêtant le serment de fidélité à la constitution royale et bourgeoise.

" Je jure devant Dieu " (Exclamations ironiques de plusieurs côtés.)

DELORY. – Citoyennes et citoyens, le besoin d'interruption place les interrupteurs dans une mauvaise posture puisque Jaurès n'a fait qu'une citation. (On rit.)

JAURES. – Mais, voyez, citoyens, à quel malentendu extraordinaire peuvent conduire les préventions que nous avons les uns contre les autres. Je viens de vous annoncer qu'on ne pouvait entrer au Landtag sans prêter un serment de fidélité au roi de Saxe ; je vous rappelle, je vous décris la formule du serment prêté par Liebknecht pour entrer au Landtag de Saxe, et voilà des camarades un peu pressés qui ne sont pas fâchés de me taxer de cléricalisme. (Hilarité.)

Représentez-vous bien. que c'est Liebknecht qui parle :

" Je jure devant Dieu, d'être inébranlablement fidèle à la Constitution et de servir, selon ma conscience, par mes propositions et mes votes, l'intérêt inséparable du roi et de la patrie. Ainsi Dieu me soit en aide. "

Il se trouva à ce moment, camarades, des purs, des intransigeants qui accusèrent Liebknecht, envers la démocratie socialiste, d'avoir prêté ce serment en vue d'occuper un siège au Landtag et Liebknecht, l'admirable révolutionnaire, répondait avec raison : " Mais alors ? nous serons éternellement les dupes des dirigeants s'il leur suffit de mettre sur notre route cet obstacle de papier d'une formule de serment. "

Et moi je vous demande, lorsqu'on fait un crime à un ministre socialiste d'avoir accepté ce que j'appellerai la formalité ministérielle de l'apparente solidarité de vote avec ses collègues du Cabinet, je vous demande si cette formalité est plus humiliante pour le Parti socialiste de France que ne l'était, pour les révolutionnaires socialistes d'Allemagne, le serment prêté devant Dieu d'être fidèles au roi ?

Je vous demande si, nous aussi, nous nous arrêterons devant ces obstacles de papier, devant ces formalités et ces chinoiseries, et si nous hésiterons, quand il le faudra pour notre cause, à jeter un des nôtres dans la forteresse du gouvernement bourgeois. (Non ! non ! Bravos.)

Mais ce n'est pas tout et une autre question, très délicate aussi... Mais j'oublie l'heure... Citoyens, j'ai du remords d'être long. (Parlez ! Parlez !)

Je vais céder la parole à Guesde.

DELORY. – En un quart d'heure, vous aurez fini.

Camarades, nous vous demandons un peu de patience. Il est certain que la question est suffisamment grave pour que nous sacrifions quelques minutes de notre temps. Le camarade Jaurès va essayer de résumer le plus brièvement possible pour permettre à Guesde de répondre. (Bravos.)

JAURES. – J'ai dit qu'une question aussi difficile s'était posée devant les socialistes allemands à propos de la participation aux élections au Landtag de Prusse.

Là, il n'y a pas de suffrage universel, il y a trois classes d'électeurs : c'est un véritable cens et le système électoral est combiné de telle sorte que les socialistes tout seuls ne peuvent jamais faire entrer l'un des leurs dans l'assemblée élective de Prusse. Ils ne le peuvent qu'en contractant des alliances ou, comme ils disent, des compromis avec les partis bourgeois.

En 1893, sur un rapport de Bebel, les démocrates socialistes allemands déclarèrent ce qui suit au Congrès de Cologne.

" Considérant qu'il est contraire aux principes observés jusqu'ici par le Parti, de s'engager dans des compromis avec des partis ennemis, parce que ceux-ci conduiraient nécessairement à la démoralisation, aux querelles et aux divisions dans leurs propres rangs, le Congrès déclare :

" C'est le devoir des membres du Parti en Prusse de s'abstenir entièrement de prendre part aux élections pour le Landtag, sous le régime actuel. "

Mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'en s'abstenant de prendre part aux élections, ils laissaient écraser la bourgeoisie libérale par les partis rétrogrades et que les droits du prolétariat, droits d'association, droits de coalition étaient menacés.

A Hambourg en 1898, à Stuttgart en 1899, ils commençaient à permettre aux socialistes de Prusse de prendre part aux élections du Landtag prussien.

Et enfin cela ne suffit pas et le même Bebel qui, en 1893, avait demandé au Parti d'interdire à tous ses membres la participation aux élections du Landtag de Prusse, le même Bebel, comprenant la faute qui avait été commise, l'erreur de tactique qui avait été faite, demanda, en 1900, au Congrès de Mayence un vote ferme.

Au Congrès de Mayence, sept ans après l'interdiction portée, le Parti socialiste allemand a donné l'ordre aux socialistes prussiens de prendre part aux élections du Landtag de Prusse.

Et pourtant, c'est au nom de la lutte de classes, c'est au nom de la tactique de parti qu'en 1893, on interdisait aux socialistes allemands de prendre part aux élections du Landtag.

Puis on a vu que la lutte de classes, obligeait le prolétariat à défendre ses libertés élémentaires même, s'il le faut, en se coalisant avec la fraction libérale de la bourgeoisie et là où on avait dit " NON " on a dit " OUI " et on a donné un ordre. Les accuserez-vous d'avoir trahi ? (Vifs applaudissements.)

Et moi, je vous dis, sans pouvoir vous donner maintenant toutes mes raisons, que de même l'heure viendra où le parti socialiste unifié, organisé, donnera l'ordre à l'un des siens ou à plusieurs des siens, d'aller s'asseoir dans les gouvernements de la bourgeoisie pour contrôler le mécanisme de la société bourgeoise, pour résister le plus possible aux entraînements des réactions, pour collaborer le plus possible aux œuvres de réforme.


L'Unité

Citoyens et amis, j'ai abusé de votre bienveillante attention et je ne me consolerais pas de brusquer ainsi ma démonstration, de la laisser incomplète, pour céder à Guesde mon tour de parole, si je ne me disais qu'après tout, quels, que soient les dissentiments, quelles que soient les difficultés, quelles que soient les polémiques d'un jour entre socialistes, on se retrouve.

Nous reviendrons, non plus pour batailler, non plus pour polémiquer, mais quand le Parti sera organisé, pour chercher ensemble, en loyaux camarades, quel est le meilleur moyen de servir les intérêts du Parti. Ah ! on dit au Parti : " Restez isolé, restez à l'écart, ne vous mêlez pas à l'action gouvernementale ; tenez-vous aussi loin que possible de l'état bourgeois. "

Et moi je vous dis que toutes les grandes révolutions ont été faites dans le monde, parce que la société nouvelle, avant de s'épanouir, avait pénétré par toutes les fissures, par toutes ses plus petites racines, dans le sol de la société ancienne.


L'autre jour Kautsky, nous raillant un peu, nous disait : "Mais vous imaginez-vous conquérir le pouvoir gouvernemental de l'Etat en conquérant portefeuille par portefeuille ? C'est comme si, au temps de la Réforme, les protestants s'étaient imaginé qu'ils allaient conquérir le monde, en conquérant un cardinal après l'autre, dans le sacré Collège ".

J'en demande pardon à Kautsky : ce qui a fait la force des hérésies, des grandes révoltes de la conscience religieuse indépendante, au douzième et au treizième siècles, ce qui fit ensuite la force de la Réforme, c'est précisément qu'elle a surgi en s'emparant d'une partie même du pouvoir de l'ancienne Eglise ; c'est qu'il y a eu, au seizième siècle, une période où les fidèles ne savaient plus au juste si leurs cardinaux, évêques ou moines étaient restés avec le pape ou étaient allés avec Luther.

L'Eglise l'a si bien senti, elle a si bien compris que le péril pour elle était dans cette pénétration, que l'ordre des Jésuites, qui s'est constitué pour la sauver, s'est donné pour mot d'ordre de pénétrer partout et d'être, lui, impénétrable à tous.

L'Eglise s'est sauvée pour des siècles en se fermant à l'action de la société nouvelle. Mais ce que l'Eglise a pu faire, la démocratie bourgeoise ne peut pas le faire ; elle ne pourra se fermer ; elle vous a laissé déjà pénétrer dans les municipalités.

On parle de responsabilités qu'assume un ministre socialiste dans un ministère bourgeois ; mais est-ce que vos élus municipaux n'assument pas des responsabilités ?

Est-ce qu'ils ne sont pas une partie de l'Etat bourgeois ? Mais le suffrage universel qui le nomme, il est réglé, il est limité par la loi bourgeoise.

Et si je voulais triompher du point de vue intransigeant où se placent quelques-uns de vos amis, comme je pourrais vous rappeler que vous acceptez ainsi le pouvoir municipal d'un suffrage universel, d'où la loi bourgeoise en excluant les assistés ou les ouvriers errants, a exclu les plus pauvres des prolétaires ; comme je pourrais vous dire que le maire socialiste, tout socialiste qu'il est, peut être suspendu par le pouvoir central, et pour un an n'être pas rééligible ; comme je pourrais vous dire qu'il accepte forcément, parce qu'il est maire, d'appliquer, d'administrer un grand nombre de lois bourgeoises, comme je pourrais vous dire que s'il se produit des conflits violents dans vos rues, il est obligé, lui aussi, sous peine de laisser dire que le socialisme, c'est le pillage et le meurtre, de faire appel à la force publique.

Et voyez, à Marseille, ces jours-ci, quelle responsabilité pesait sur le maire socialiste. En assistant au débarquement de Krüger, et en protégeant les étrangers anglais contre les violences possibles de la foule, il n'était plus le maire socialiste de Marseille, il était chargé de la sécurité, du renom de la France entière.

Ah ! ce serait trop commode d'être maire socialiste devant le monde, si on n'était pas obligé en même temps de compter avec toutes ces responsabilités ! Mais c'est parce que la tâche est lourde, c'est parce qu'on est tout ensemble une fraction du prolétariat conquérant et une fraction de l'État bourgeois.

C'est pour cela qu'il ne suffit pas d'un mécanisme pour faire aller la mairie socialiste, qu'il y faut des hommes de tête, des hommes de prudence, de pensée et, de réflexion, d'équilibre et de volonté, des hommes comme Flaissières, des hommes comme Delory. (Bravos répétés. Cris : Vive Delory.)

Oui, à mesure que grandit le pouvoir du Parti socialiste, grandit sa responsabilité.

Mais de cette responsabilité, nous n'avons pas peur, le Parti socialiste n'en a pas peur ; il a confiance dans la classe ouvrière, à une condition, c'est qu'elle soit organisée, c'est qu'elle soit unifiée ; c'est qu'en face de tous les autres partis anarchiques et discordants, elle ne forme qu'un parti, comme elle ne forme qu'une classe.

Eh ! oui, il y aura entre nous, longtemps peut-être, des dissentiments de méthode et de tactique. Mais il y en a en Belgique, en Allemagne ; cela ne les empêche pas d'être unis, de discuter loyalement, en camarades.

Et c'est ainsi que nous voulons discuter encore ; et nous voulons préparer au grand jour la grande unité socialiste, la grande fraternité socialiste, par la lumière, par la raison, par l'organisation ; et cela pour faire d'abord œuvre de réforme, et dans la réforme, œuvre commençante de révolution ; car je ne suis pas un modéré, je suis avec vous un révolutionnaire."

http://www.marxists.org/francais/general/jaures/works/1900/11/jaures_19001126.htm