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" (...) Je dénonce à la conscience des honnêtes gens cette pression des pouvoirs publics sur la justice du pays. Ce sont là des mœurs politiques abominables qui déshonorent une nation libre. (...)
Vous connaissez la légende qui s'est faite. Dreyfus a été condamné justement et légalement par sept officiers infaillibles, qu'on ne peut même suspecter d'erreur sans outrager l'armée entière. Il expie dans une torture vengeresse son abominable forfait. (...) C'est de pain empoisonné que la presse immonde nourrit notre pauvre peuple depuis des mois. Et il ne faut pas s'étonner , si nous assistons à une crise désastreuse, car lorsqu'on sème à ce point la sottise et le mensonge, on récolte forcément la démence.(...)
Vous êtes tous des travailleurs, les uns commerçants, les autres industriels, quelques-uns exerçant des professions libérales. Et votre très légitime inquiétude est l'état déplorable dans lequel sont tombées les affaires. Partout, la crise actuelle menace de devenir un désastre, les recettes baissent, les transactions deviennent de plus en plus difficiles. (...)
De sorte que la pensée que vous avez apportée ici, la pensée que je lis sur vos visages, est qu'en voilà assez, et qu'il faut en finir. Vous n'en êtes pas à dire comme beaucoup:"Que nous importe qu'un innocent soit à l'Ile du Diable! est-ce que l'intérêt d'un seul vaut la peine de troubler ainsi un grand pays?" Mais vous vous dites tout de même que notre agitation, à nous les affamés de vérité et de justice, est payée trop chèrement par tout le mal qu'on nous accuse de faire. Et si vous me condamnez messieurs, il n'y aura que cela au fond de votre verdict: le désir de calmer les vôtres, le besoin que les affaires reprennent, la croyance qu'en me frappant, vous arrêterez une campagne de revendication nuisible aux intérêts de la France.(....)
Et qu'ils sont bêtes ceux qui m'appellent Italien, moi né d'une mère française, élevé par des grands-parents beaucerons, des paysans de cette forte terre, moi qui ai perdu mon père à sept ans, qui ne suis allé en Italie qu'à cinquante-quatre ans et pour documenter un livre.(....)
Et si même je n'étais pas Français, est-ce que les quarante volumes de langue française que j'ai jetés par millions d'exemplaires dans le monde entier ne suffiraient pas à faire de moi un Français, utile à la gloire de la France! (...)
Ne comprenez-vous pas maintenant que ce dont la nation meurt, c'est de l'obscurité où l'on s'entête à la laiasser, c'est de l'équivoque où elle agonise? Les fautes des gouvernants s'entassent sur les fautes, un mensonge en nécessite un autre, de sorte que l'amas devient effroyable. Une erreur judiciaire aété commise, et dès lors, pour la cacher, il a fallu chaque jour commettre un nouvel attentat au bon sens et à l'équité. C'est la condamnation d'un innocent qui a entraîné l'acquittement d'un coupable; et vilà qu'aujourd'hui, on vous demande de me condamner à mon tour, parce que j'ai crié mon angoisse, en voyant la patrie dans cette voie affreuse.(...)
Il n' y a plus d'affaire Dreyfus.Il s'agit désormais de savoir si la France est encore la France des droits de l'homme, celle qui a donné la liberté au monde et qui devait lui donner la justice. Sommes-nous encore le peuple le plus noble, le plus fraternel, le plus généreux? Allons-nous garder en Europe notre renom d'équité et d'humanité?(....)
Hélas Messieurs, ainsi que tant d'autres, vous attendez peut-être le coup de foudre, la preuve de l'innocence de Dreyfus, qui descendrait du ciel comme un tonnerre. La vérité ne procède point ainsi d’habitude, elle commande quelque recherche et quelque intelligence.La preuve! nous savons bien où on pourrait la trouver. (...)
Dreyfus est innocent, je le jure. J'y engage ma vie, j'y engage mon honneur.A cette heure solennelle, devant ce tribunal qui représente la justice humaine, devant vous , messieurs les jurés, qui êtes l'émanation même de la nation, devant toute la France, devant le monde entier, je jure que Dreyfus est innocent.(...)
Tout semble être contre moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir militaire, les journaux à grand tirage, l'opinion publique qu'ils ont empoisonnée. Et je n'ai pour moi que l'idée, un idéal de vérité et de justice. Et je suis bien tranquille, je vaincrai.
Je n'ai pas voulu que mon pays restât dans le mensonge et dans l'injustice. On peut me frapper ici. Un jour, la France me remerciera d'avoir aidé à sauver son honneur."
(Source : ANTHOLOGIE DE L’ELOQUENCE FRANCAISE , Paris, 1995, P. Dauzier et P. Lombard)
1 commentaire:
ebn oui hein... et je répète souvent que quand on lit la littérature remontant à l'antiquité, on s'aperçoit que la bêtise des "élites", émergente ou non des peuple, a de tous temps soulever les colères des penseurs actifs des sociétés de tous les régimes...
c'est ça le gros problème de l'humanité : l'orgueil qui rend bête et méchant, l'appat du pouvoir sur l'autre, à toutes les échelles, qui donne une incroyable sûreté de mépris à ceux qui s'en prétendent.
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