mercredi 5 novembre 2008

"La guerre des classes" de Fr. Ruffin : enfin quelqu’un qui dit la vérité !


Franchement, il y a bien longtemps que je n’avais lu un bouquin aussi diantrement efficace.

Efficace, documenté, et bien écrit.

Je précise que, de mon point de vue, quand je dis "bien écrit" pour ce genre d’ouvrage, je ne me lance pas dans des analyses de texte comme celles qu’on nous enseignait à l’école, je veux dire qu’on voit que l’auteur s’est senti concerné un minimum par son sujet, qu’il a écrit aussi avec ses tripes (c’est surement pour cela qu’il a fait un bon boulot), et que ça ne l’a pas empêché de faire une analyse sérieuse de ce que nous vivons.

Ce livre que j’ai dévoré, c’est celui de François Ruffin, "La Guerre des classes", paru cette année aux éditions FAYARD.

Cela commence par une citation de Buffett (pas Marie George, comme plaisante l’auteur, mais Warren, une des premières fortunes mondiales) :

"La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, celle des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de la remporter."

Ce livre-coup de poing n’a pas eu l’heur d’être critiqué dans l’Humanité (pourtant, avec un titre pareil, logiquement, ça aurait du).

Cela étant dit, on comprend de suite pourquoi : les dirigeants du PS et du PCF depuis 25 ans en prennent tellement pour leur grade, sans concession, mais au contraire, en toute irrévérence (c’est à dire au fond, comme on est en droit de s’interpeler, entre camarades, entre égaux, dans une entreprise ou un syndicat par exemple), que ça ne pouvait décemment paraître dans ce journal de "gôche", entre un rapport de Conseil National lénifiant (et pas léniniste), soporifique, dégoulinant de "complexité", "modernités", "dominés"... et les meilleures pages de J.-C. Gayssot ou de M.-N. Lienneman.

Voilà Ruffin, donc ; il attaque le problème frontalement, comme j’aime, crument, et toute la violence subie quotidiennement par les exploités du capitalisme, il la capte, il la concentre et il la répercute, il la renvoie contre les responsables de cette violence eux-mêmes, comme un énorme crachat à la gueule ou une salve de venin surpuissante.

- Normalement, si tu lis cela et que tu fais partie de ces responsables de gauche qui ont, de près ou de loin, trahi la classe ouvrière en lui apprenant à subir plutôt qu’à continuer de se battre, en la domestiquant plutôt qu’en la soutenant, quand tu le finis, ce bouquin , tu es mort, atomisé de honte sur ta chaise.

Les responsables actifs, les responsables passifs ou par omission, c’est à dire les coupables et leurs complices, (nous nommons les capitalistes et la fausse gauche, et notamment les appareils embourgeoisés de cette fausse gauche), sont épinglés dès la première page, et rien ne leur sera épargné, pas même de leur mettre sous les yeux leurs discours creux, vides, des discours qui donnent envie de se pendre ou de pleurer plutôt que de se battre des discours qui instillent ,comme un poison, le renoncement, dans le cœur des exploités eux mêmes, voilà ce que dénonce justement François Ruffin.

De Buffet à Royal en passant par Mitterrand, Hue, et Jospin, Ruffin résume l’essentiel de l’épopée, de la Bérézina politique du prolétariat ces 25 dernières années, floué et trahi par ses représentants, finalement vendus aux petits et aux grands bourgeois.

Les travers ou tournants réformistes des syndicats ne sont pas oubliés non plus.

Tout le monde a droit à sa petite claque, c’est à dire au rappel du "meilleur" des ses discours, de ses textes, et franchement, tout cela mis bout à bout, je peux vous dire que c’est un remède contre le désespoir.

Normalement, quand vous posez ce livre et que vous êtes de ces prolétaires, de ces militants, ou sympathisants qui se sont fait enfiler, de près ou de loin, vous avez la haine comme pas possible.

Évidemment les capitalistes ne sont pas en reste et Ruffin s’y entend pour peindre, par contraste, jusqu’à l’écœurement, l’accumulation de leurs richesses, leurs magots faits du VOL des richesses produites par les salariés.

On voyage entre le chalet à Gstaad et le 3 pièces- HLM où s’entassent trois générations ; on passe du choix des destinations magnifiques et aménagements des différentes villégiatures, aux voyages immobiles derrière une fenêtre pleine de pluie, premier horizon sur la zone industrielle désertée...

On passe du choix cornélien entre la Ferrari et la Mercédes, avec ou sans chauffeur, à la difficulté de payer son titre de transport ou son essence pour aller trimer.

Sans aucun accent pathétique, non mais avec toujours cette question qui tourne en boucle et qui finit par rendre dingue : comment ne voit on pas que les fastes et le luxe des uns sont payés de la misère des autres?

S’il y a plus de riches en 2008, c’est qu’il y a plus de pauvres aussi !

Où sont passés les 9.3 % que le travail a perdu dans le PIB ces dernières décennies?

9,3 % en moins pour le travail dans le PIB.

Quand, il y a quelques semaines, le CAC 40 a perdu 9 %, justement ,Sarkozy et ses copains ont employé les grands moyens, et vite : + de 360 milliards d’euros de renflouement. En quelques jours.

"Et nous alors? Et nous alors on crève? On mérite pas de vivre, nous?"

On ferme le livre 5 minutes, on respire 5 minutes - ces capitalistes, ce sont vraiment des voyous, des voleurs arrogants, plein de morgue, et on a rapidement envie de leur mettre un gros coup de pied, de les faire tomber de leur piédestal, et , je le dis tranquillement, de les égorger.

D’ailleurs, je l’ai écrit à François Ruffin, une des réflexions que je me suis fait tout de suite après avoir fini son bouquin, c’est que : "c’est étonnant qu’il n’y ait pas plus d’assassinats de patrons ou d’actionnaires".

Non pas que tout ce que raconte là François Ruffin, on ne l’ait pas su, on ne le sache pas, mais c’est que , ramassé dans quelques centaines de pages, toutes ces années d’exploitation capitaliste sanguinaire, inhumaine, mise face à ces renoncements de la gauche, tout cela condensé en un livre, franchement, c’est la même différence qu’entre un léger courant d’air et un énorme coup de Mistral.

C’est donc un livre que, quelque part, je déconseille aux cardiaques, à celles et ceux qui font de la tension etc. Ou en tout cas, il faut prendre ses gouttes, on grimpe vite dans les tours.

Toutes les deux pages on se dit "putain mais c’est vrai, il a raison".... D’ailleurs, je conseille aussi aux "émotifs" dans mon genre de se munir d’une boîte de Kleenex (non pas parce qu’on pleure de pitié ou de fausse compassion chrétienne, non) mais parce qu’on pleure de rage et d’impuissance devant tant de gâchis et de saloperies - il faut oser le mot.

L’envie de balancer un énorme coup de poing (dans le mur, et plus si affinité) m’a saisie plus d’une fois pendant ma lecture.

On comprend bien pourquoi on en est là, d’un point de vue politique, et franchement, on ne peut s’en étonner, ni donner tort à celles et ceux qui n’y croient plus, lassés, usés, écrasés, dans des combats où ils ont été abandonnés, souvent en rase campagne, par des gens qui devaient les représenter mais qui ont préféré pousser les avantages de la petite bourgeoisie plutôt que ceux des prolétaires.

Dans ce contexte général, historique, le cri des Goodyear, quand on était allés les voir en Septembre dernier à Amiens, quand on les a revus à Paris en Octobre, avec d’autres au Salon de l’auto, ces Goodyear dont Ruffin suit la lutte avec attention (puisqu’il est de leur coin, dans la Somme) et qui ont affiché d’emblée (comme de plus en plus de syndicalistes) ne pas vouloir être "récupérés" par les les partis politiques, ce cri d’insoumission et de révolte, il percute et il déchire les tympans.

Et ce cri, ils ne sont pas les seuls à le pousser.

Faut être sourd pour ne pas l’entendre, et Ruffin, lui, comme nous, il n’est pas sourd.

Alors, on va me dire, "oui mais il n’est pas communiste", "c’est un anarcho-syndicaliste" ou "son orthodoxie marxienne est discutable", on dit "lutte des classes et pas guerre des classes", et patati et patalo.

Peut être (et encore y-a-t-il beaucoup à dire sur tout cela car au fond si ce qu’il dit est juste, si sa vision de la réalité est la même que la nôtre, ne peut il être un frère de combat?).

N’empêche que si les "purs de durs ", du haut de leur science, pensaient et disaient la moitié du tiers du quart de ce qu’il a écrit , analysé, rapporté, lui, on serait peut être moins dans la merde aujourd’hui, à chercher comment se reconstruire une organisation qui nous fédère et nous unisse, nous les prolétaires, et ce en pleine crise du capitalisme !

Un comble.

François Ruffin nous incite à reprendre notre permis de démolir du capitalo, notre licence de casser de la bourgeoisie.

Enfin un type qui dit, comme nous : "Mais pourquoi on serait polis et sympathiques et bien élevés avec des affameurs et des exploiteurs qui nous tondent la laine sur le dos? Pourquoi on devrait modérer nos coups, tirer à fleurets mouchetés, contre ses salopards qui nous privent de tout et même du minimum, du nécessaire vital, alors que eux et toutes leurs générations suivantes, baignent et baigneront toujours dans l’opulence? Et pourquoi nos organisations historiques ne nous accompagnent elles pas, pourquoi nous modèrent elles, nous censurent elles?"

Je lui dis donc merci, merci d’avoir tracé cette fresque, forcément imparfaite, parcellaire, critiquable comme toute œuvre humaine, mais qui était terriblement nécessaire.

Ce qui est dit n’est plus à dire.

Par contre, et cela est notre combat de tous les jours, ici, ailleurs, partout où on peut, il faut faire en sorte que tous ces discours, ces textes, toutes ces actions, tout ces espoirs et ses désirs, convergent et se rejoignent.

La conclusion logique est qu’une organisation politique destinée aux travailleurs qui ne nous sert pas à défendre nos intérêts et qui n’est pas foutue d’être en phase avec nos luttes (voire est trois trains en retard), ne sert à rien.

L’esprit de chapelle, la fidélité "über alles" au "Partei" (quel qu’il soit) a fait son temps.

Certes ça n’évite pas de monstrueuses conneries, comme celle de voter Sarkozy quand on est un prolo.

Mais cela aussi, la victoire de Sarkozy, du capitalisme triomphant et vampirique, la victoire des Maîtres des forges, c’est le prix du sang. Le prix du sang qui se paiera lui-même au prix du sang.

Le prix de Jospin qui dit qu’il n’est pas socialiste, le prix de Hue qui veut effacer le communisme, de Buffet, de Gayssot qui participent au gouvernement Jospin et qui restent malgré les privatisations, malgré la politique la plus à droite que la gauche ait jamais faite, le prix de Royal qui dit qu’elle en croit pas au SMIC à 1.500 euros, le prix du PS qui vote OUI en interne au Traité européen en 2005...

L’autre conclusion, aussi, c’est que, je pense, la conscience de classe progresse là où la "conscience de parti" (au sens partisan) s’efface.

On redevient des salariés avant d’être des militants de telle ou telle organisation. Ce n’est peut être pas si mal après tout.

En tout cas, il faut bien y réfléchir et essayer d’analyser et de PROJETER les conséquences possibles de ce que nous vivons actuellement, maintenant que nous en avons les causes.

Car cela pourrait être, en effet, un début sur la voie de la démocratie prolétarienne ; en tout cas, cela serait très lourd de sens.

Alors, ce livre de Ruffin, il devrait même être remboursé par la Sécu comme remède contre la diarrhée sociale-démocrate, contre le renoncement enseigné "aux masses" comme seul moyen d’autodéfense.

"Courbez l’échine, taisez vous, ne faites pas de vague ; attendez, on va faire du dialogue social et de la représentativité".

On justifie la violence des exploiteurs, on disculpe les salauds, et on culpabilise les exploités qui se révoltent.

Et bien non, y’en a marre. Et nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à le penser et à le dire.

Comme si cela pouvait vraiment nous être utile pour nous défendre, défendre nos droits, ceux de nos proches.

Comme si c’était comme ça qu’en période de guerre on devait avancer, le visage larmoyant et les mains tremblantes, en supplique.

Un conseil aux "politiciens de gôche" : après cette lecture, embrayez directement sur celle de Sun Tzu, et de Clausewitz par exemple.

Pour conclure, voilà, c’est 19 euros, oui, mais, si vous le pouvez, vous ne les aurez pas gaspillés.

Pour Noël, ça fera un cadeau sympa pour ceux que vous aimez bien.

Et un cadeau pas sympa pour ceux que vous n’aimez pas (si vous l’offrez à votre patron,par exemple, il comprendra que vous l’avez lu, et s’il n’est pas trop con, il comprendra aussi que vous êtes en train de vous ré-armer idéologiquement, et, en toute logique , pas pour aller au tir aux pigeons d’argiles...).

En tout cas, je vous le recommande vivement, si je puis me permettre et, je remercie encore l’auteur, fraternellement, car il a achevé de me réconcilier avec ma colère.

Vous pouvez lire le prologue de cet ouvrage ici pour vous mettre en bouche: Le prologue

3 commentaires:

François a dit…

Salut Elodie,
Une fois de plus tu t'en prends à mon petit cochon,hein? T'as pas honte,non?

Je vais le re-re -re-(puissance 100 )casser.T'es contente j'espère ?...

En tous cas F.Ruffin bénéficie d'une sacrée bonne pub.avec ton texte.

Bientôt je vais écrire un livre sur les louves...tu vas me le promouvoir j'espère?

Merci à toi pour ton orientation de lectures.

Bises fraternelles.
François

Anonyme a dit…

"une organisation politique destinée aux travailleurs" et "les salariés"

Et ceux qui travaillent pas, on en fait quoi? Si l'on revient vraiment aux fondamentaux de Marx, et je le souhaite, faudrait peut-être se souvenir que "prolétariat" ne signifie ni "classe ouvrière", ni "travailleurs", mais ceux qui n'ont comme richesse que leur enfants.

Cesser de prononcer "travailleurs" avec des trémolos dans la voix permettrait de ne plus humilier systématiquement et sans s'en apercevoir tous ceux qui n'ont pas de boulot.

Et de cesser de disqualifier ceux qui justement s'interrogent sur la sacralisation du travail. J'avais cru comprendre que l'abolition du salariat était au programme de Marx.

François a dit…

A cultive ton jardin,
Un prolétaire ,au sens Marxiste du terme,donc au mien,est un homme ou une femme qui ne possède que SA FORCE DE TRAVAIL,laquelle force de travail est échangée contre un salaire,point.

Un travailleur,une travailleuse est quelqu'un qui vend sa force de travail à un employeur contre une rémunération (de misère le plus souvent).

Le Chômeur est un travailleur privé d'emploi,mais un travailleur à part entière nonobstant son inactivité passagère,durable ou non.

Donc dans "une organisation politique destinée aux travailleurs et les salariés"sont compris les chômeurs.

Fraternellement
François