samedi 9 avril 2011

Le programme économique du FN, l' Etat, la Nation et la possibilité révolutionnaire.


Passons sur le côté "amusant" de la présentation du programme économique du Front National, avec hauts-fonctionnaires anonymes, et tout le tremblement, légitimé par la "persécution" dont les militants frontistes seraient l'objet.

Rentrons dans le vif du sujet: le politique.

C'est amusant aussi, notez bien. Amusant de constater que, pour un parti dont le nouveau credo semble être de vouloir redonner la première place au politique, le passage obligé est celui de la "crédibilité économique" selon la plus pure tradition bourgeoise.

Comment faire la démonstration inverse de ce que l'on prône, donc.

On commence par dévoiler un "programme économique". Pas un programme politique.

En cela, le FN ne présente strictement aucune différence avec les partis institutionnalisés bourgeois, qui servent le capitalisme, directement ou indirectement.

Et un programme fabriqué en partie par un énarque, actuellement en poste, si on en croit l'article du Parisien, à ...Bercy! On a vu mieux comme révolution populaire, que d'employer les services de ces cerveaux formatés à servir l'Etat bourgeois à l'ENA....

Mais passons, donc.

Comme presque tous les autres partis politiques, le programme économique présenté par le FN a d'abord vocation à attirer les fameuses "classes moyennes" (l'autre nom pour ce nous appelons nous, la "petite-bourgeoisie"). Ca marchera sans doute en partie, compte tenu des circonstances.

La critique principale que je vais faire aujourd'hui (j'en ferai sans doute d'autres par la suite) me semble tout sauf anecdotique.

Elle a trait à la conception de l'Etat et de la société qui rend possible toute la construction du programme économique du FN.

Cette conception, c'est celle de l'Etat dit régalien, jacobin et centralisé.

Cette conception, elle n'est appuyée que sur une seule jambe qui s'appelle la "souveraineté nationale". Coupez-la lui, et tout s'écroulera.

Problème pour le FN: ce sont les masses qui font l'histoire, et il faut faire avec.

Or les masses, même si elles le regrettent peut-être aujourd'hui (mais, à supposer que regret il y ait, regretter est une chose, vouloir faire "machine arrière" en est une autre, et pouvoir faire "machine arrière" encore une autre), elles ont décidé, il y a de cela un moment déjà, que de la Nation, de la souveraineté nationale, et de l'Etat jacobin, elles n'en voulaient plus, que cela plaise ou pas, et quels que soient les "dommages collatéraux" que ces décisions ont coûté - en premier lieu et presque exclusivement, pour les auteurs de ces décisions eux-mêmes.

Ces décisions ont été prises, et entérinées à plusieurs reprises, que ce soit en portant au pouvoir des socio-démocrates (ou des libéraux-sociaux), ou des libéraux "tout court" (les deux pôles principaux de l'alternance politique sous la 5ème république) pour des raisons qui ne sont pas exclusivement (loin de là) des raisons économiques. Il y a d'autres visages de ces décisions (dans les syndicats notamment). Mais je m'en tiendrai là, pour ne pas alourdir le propos.

Elles ont été prises parce que, pour plusieurs raisons, non seulement le peuple n'a pas lutté contre la mondialisation mais encore, il l'a accompagnée et même à un moment, majoritairement souhaitée (même s'il n'en a pas souhaité évidemment, les résultats, qu'il subit de plein fouet chaque jour).

Évidemment, ce que le peuple a souhaité au fond, avant toute chose, ce n'était pas les délocalisations, les licenciements, la perte du pouvoir d'achat, la précarisation, la coupe permanente dans les budgets de l'Etat au nom de la sacro-sainte réduction de la dette publique imposée par Maastricht...

Ce qu'il a souhaité, (parce que c'est ce qu'on nous a vendu avant tout), c'était la libre circulation des personnes et des biens , une monnaie forte et une économie assainie. Une nouvelle forme de sécurité en somme: la paix entre des hommes débarrassés de leurs oripeaux nationaux et un Etat protecteur qui ne soit plus soumis au diktat des financiers via la dette publique.

Souhaitant cela, et le mettant politiquement en œuvre par différents moyens, le peuple n'a pas forcément vu ou compris la polysémie de ces notions et ce qu'elles pouvaient entraîner comme effets pervers dévastateurs de nos vies. A moins que (hypothèse que je privilégie) l'ayant pressenti, son désir de se libérer des frontières , de la nation... son désir, finalement, de paix et de liberté, ait été plus fort que toutes ses préventions.

D'aucuns peuvent en arriver à regretter plus ou moins secrètement que le peuple, ce peuple que certains membres d'auto-proclamées "avant-gardes" jugent inculte, stupide, ignorant, soit doté de tels pouvoirs, soit doté du droit de s'exprimer, à travers le vote, la grève ou les manifestations, soit du doté du pouvoir de prendre part, même un peu, aux décisions qui président à sa propre destinée.

Mais la question n'est pas de savoir, ni de dire aux masses (masses dont, au moins en théorie, tout militant communiste est et doit se revendiquer fièrement) si elles ont eu raison ou tort de clore ce chapitre initié en France en 1789, mais bien de faire de la politique avec ce que des décisions "démocratiques" ont amené ici et là, bon et mauvais ensemble, et la transformation profonde qu'elles ont apportée aux instruments politiques traditionnels.

Lire la France d'aujourd'hui avec des lunettes construites sur la base de 1789 et remodelées dans les années 50 (mais guère plus), c'est prendre le risque de la myopie aiguë. Le FN n'y échappe pas plus que les autres en refusant aussi ouvertement de partir de la réalité pour se (re)bâtir.

De quoi nous parle, en gros, ce programme économique qui a été présenté?

Il parle de "nationalisations". De "patriotisme". De "frontières". De "centralisme"...

Il nous parle d'un Etat que la majorité des habitants de ce pays aujourd'hui ignorent, voire, rejettent, pour des raisons diverses. Cet Etat, c'est l'Etat régalien devenu Etat policier au service quasi-absolu du capitalisme, et principalement, de sa forme impérialiste.


Ce faisant, le FN est doublement à côté de la plaque.

Une première fois parce que rien ne dit que, même regrettant leurs décisions d'autrefois, les masses voudront et feront effectivement "machine arrière". Une seconde fois parce que la position tenue par le FN est à l'exact opposé de ce que produit ce moment de la lutte des classes dans et sur cette chose étrange qu'on appelle "Etat". Le FN propose une chose irréalisable. Tant économiquement que politiquement.

Irréalisable économiquement parce que irréalisable politiquement.

Irréalisable politiquement parce que à contre-courant de l'Histoire pour des pays comme la France qui ont fait, il y a longtemps, leur révolution nationale, et qui doivent désormais à toute force, passer à autre chose, entamer une nouvelle révolution, qui consiste principalement à dépasser ce qu'a enfanté 1789, à le dépasser en achevant de le détruire pour pouvoir créer "autre chose".

C'est là qu'apparaît la nature profondément conservatrice, réactionnaire et infantile du FN, à l 'opposé de l'image révolutionnaire et populaire qu'il veut se donner.

C'est sa conception de l'Etat et de la société (et de l'économie) qui explique, contre toutes les fausses prédictions qu'on nous a assénées pendant plusieurs semaines, qu'en dépit du fabuleux coup de pouce médiatique qu'il a reçu, il se soit finalement autant planté que les autres aux dernières cantonales (et sur ce point fondamental, qui ne peut souffrir de discussions oiseuses, je renvoie à l'excellent travail de démystification par la raison qu'a réalisé notre ami et camarade Charles Hoareau ici ), même si, du fait de l'abstention, il a obtenu un score de votes exprimés satisfaisant qui lui permet (avec la complicité honteuse de la majorité de la classe politique et de nombreux éditocrates) de faire croire à une victoire.

J'ai déjà eu l'occasion plusieurs fois de m'exprimer sur ce que je pensais de la Nation comme concept politique, notamment (mais pas seulement) pour des communistes du 21ème siècle, concept dont je pense démontrer qu'il n'est plus d'actualité dans nos combats parce qu'il ne recouvre plus de réalité tangible et que, dans le contexte actuel de la lutte des classes et de la mondialisation, le maniement de ce concept, loin de pouvoir protéger les masses laborieuses, les enferme, les prive de ce qu’elles doivent devenir, les prive d'un travail d'émancipation vers la souveraineté populaire au profit d'une souveraineté nationale qui ne fera plus jamais "leur bonheur", et donc, les désarme complètement.


Pour ces raisons, qui ne sont ici que très résumées et simplement esquissées, qui demanderont des développements ultérieurs, en tant que communiste dont le souhait est et reste l'émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes et le dépérissement de l'Etat jusqu'à sa disparition, je ne peux pas considérer comme un avis valable que le programme du FN serait susceptible d'être taxé de programme "de gauche", ou de programme socialiste.

Oh bien sûr, si l'on entend par "de gauche", ou "socialiste" la bouillie infecte faite d'une pincée de dirigisme par-ci et d'une poignée de libéralisme par là saupoudrée d'un peu de contractualisme, que nous servent depuis 40 ans le PS et ses alliés, alors là, en effet, il risque d'être difficile pour les soi-disant gens "de gauche" de se dépatouiller du piège que le FN tente de refermer sur eux. Encore une fois, face au risque fasciste, une bonne partie de la petite-bourgeoise se fera dévorer toute crûe.

Non, la position anti-raciste ne suffira pas à départager les uns et les autres car le racisme, n'en déplaise à certains, n'est aujourd'hui pas beaucoup plus fréquent chez les "gens de droite" qu'il n'est chez les "gens de gauche" (car les gens de droite ne sont pas tous des bourgeois et les gens de gauche ne sont pas tous des ouvriers). C'est, je pense, une des choses hélas, les mieux partagées au monde, qui, comme disaient Balibar et Wallerstein, tient lieu en quelque sorte de mémoire collective quasi-universelle et dont, même dans une société communiste, il sera difficile sans doute, de se débarrasser complètement.

Je ne dis justement pas cela parce que les "nationalisations" que propose le FN seraient en soi différentes (parce qu'émanant du FN) de celles que proposeraient d'autres partis, plutôt "de gauche". Non.

Une nationalisation est une nationalisation, pour le FN comme pour le PS . Même si l'on a vu en 1981, entre le PS et le PCF, que les modalités de mise en oeuvre, non négligeables, des nationalisations, pouvaient diverger.

Pour faire une courte parenthèse sur cette notion de "mise en œuvre" et de politique des "petits pas", des petits gains", supposés apporter de grands pas, que l'on m'oppose souvent en prenant comme exemple le syndicalisme ("un bon syndicaliste est celui qui sait construire au quotidien le rassemblement le plus large des travailleurs dans son entreprise en organisant et en participant aux combats qui permettent d'obtenir des gains apparemment petits pour pouvoir lancer des batailles sur des combats plus importants", ce qui est assez juste), je dirais simplement que, justement, si le syndicalisme est politique, le politique lui, ne peut pas, ne doit pas être syndicaliste. Là où le syndicalisme est de terrain, où il est pragmatique, là où il est quotidien, le politique, lui, doit viser l'horizon et les vastes étendues, le politique est sans limite de date. C'est dans les limites du syndicalisme que git la possibilité politique, qui est constituée du rapport dialectique entre la théorie et la praxis dans la lutte de classe. Je ferme cette parenthèse.

Une nationalisation est une nationalisation. Comme l'Etat est l'Etat, pour les uns ET pour les autres (et il faut être fou pour continuer de définir l'Etat bourgeois comme une sorte de véhicule dont la nature et la substance changerait en fonction de qui les élections amènent aux commandes!). Le protectionnisme c'est le même, de nature, qu'il s'agisse de celui des USA ou de celui de l'UE (ou de la France, si elle sortait de l'UE). - Pour ne pas être trop longue, je renvoie sur ce point de l'analyse de ce qu'est l'Etat bourgeois aux travaux de Poulantzas, parfois insatisfaisants et incomplets mais en dépit de cela, je pense, encore uniques dans leur genre à ce stade de notre réflexion politique.

Non. Je dis que ce programme du FN ne devrait pas pouvoir être taxé de "programme de gauche" ou de "programme socialiste" s'il existait encore dans ce pays un parti de masse, un parti communiste, capable de réfléchir collectivement et de proposer des idées innovantes qui traduisent les aspirations du peuple des travailleurs.

Je dis cela parce qu'un communiste aujourd'hui ne devrait pas pouvoir raisonnablement proposer d'utiliser un instrument (les nationalisations) qui viendrait, en l'état actuel des choses, renforcer la figure exacerbée de l'Etat capitaliste actuel.

Que donneraient des nationalisations dans un Etat globalement libéralisé et dans une économie mondialisée? Elles donneraient des pouvoirs encore plus grands en période de crise aux actionnaires qui prennent le contrôle de la société anonyme "France". Est-ce par crise de "socialisme" qu'Obama a adopté des stratégies proches de la nationalisation pendant la crise aux USA? Sérieusement et évidemment, non!

Obama n'a fait qu'adopter le comportement de tout bon actionnaire majoritaire dans une telle situation pour sauver ses miches et pouvoir repartir de plus belle: il a fait ce que l'on appelle en droit des sociétés un "coup d'accordéon"! C'est à dire qu'il a restructuré le capital de sa "société" à cause d'une perte trop importante de capitaux propres.

Imaginons ce qu'aurait donné la politique du gouvernement Sarkozy-Fillion si les banques avaient été nationalisées (au sens strict)!

Aussi, et en conclusion, on ne luttera pas contre le programme du FN sans être véritablement révolutionnaire. Or, au risque de faire une lapalissade, je ne crois pas qu'être conservateur, voire réactionnaire, puisse aider à être (à devenir) révolutionnaire...

Évidemment donc, tous les partis qui continuent à se placer dans ce registre de la pérennisation de l'Etat (qu'il soit libéral , qu'il soit policier, dirigiste, ou fasciste), et en particulier, de l’État tel qu'issu de 1789 et 1945, ne pourront pas lutter contre le FN.

Ils vont se perdre dans des arguties juridico-économiques, des batailles d'experts, des myriades de chiffres... qui risquent d'avoir pour seul effet, non pas d'entraîner les foules en délire derrière eux, mais d'éloigner encore plus les masses d'eux, et des élections (ce qui de mon point de vue ne serait pas forcément un mal si autre chose se construisait autrement ailleurs, mais ne soyons pas pessimistes...).

Les masses se détourneront non par bêtise, fainéantise ou par incompréhension, mais parce qu'intuitivement, comme en témoigne l'embryon de conscience de classe qui se reforme et qui affleure dans l'abstention majoritaire, les masses désirent ardemment autre chose, même de façon "inconsciente", et il est probable que cette "autre chose" s’appelle la souveraineté populaire et la démocratie directe, donc, le début de la fin de l’État bourgeois, et peut-être même, le début de la fin de l’État tout court...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

euh... parce qu'on peut pas concevoir de nationaliser sans indemniser les actionnaires ? bref, concevoir de les mettre sur la paille ?

moi ce que je vois en explorant les petites entreprises de ma région, c'est qu'ils n'ont plus de clients et plus de marchés, que les marchés sont forcés par la puissance financière des grands groupes qui inventent des trucs délirants pour avec la complicité d'un gouvernement et de pouvoir publique locaux pour forcer les gens à consommer des produits et services inutiles, imbéciles, nocifs dans plein de domaines, que ce soit les agriculteurs, les artisans, les entreprises de services, s'ils ne sont pas sous la coupe de grands groupes ou qu'ils soient sous la coupe de grand groupes... ils ne font pas ce qu'ils savent être bon et judicieux, ils font ce qu'on leur impose de faire et en plus on les culpabilise de ne pas vendre assez, parce que les gens, de moins en moins rétribués ne peuvent plus consommer n'importe quoi et en ont marre de consommer n'importe quoi.

le truc que je note en discutant avec les caissières de super marché, c'est qu'elles me disent que la fréquentation baisse considérablement, qu'elles sont de moins en moins nombreuses au caisses et qu'on n'embauche plus du tout nulle part.
et ça c'est juste pour les produits courants, de base, voire de première nécessité...

chose curieuse, y'a encore plein de connards qui achètent des grosses cylindrées...

moi mon idée de la nationalisation, c'est pas simplement ça, c'est tout simplement de coordonner aussi la production en la répartissant entre toutes les forces productives et ne plus la laisser librement décidée par ceux qui n'ont d'autre utilité que de la servir et non pas de l'asservir : autrement dit, interdir l'usure, toute possibilité de faire du gain sur le financement des activités de production, donc interdir l'actionnariat tel que conçu par le capitalisme.

ça veut aussi dire d'organiser l'économie de sorte que tous les travailleurs soient "fonctionnaires".

paul