vendredi 13 avril 2007

Fragments de CONVERSATION INACHEVEE

"Certaines rencontres sont comme un train que vous ne pouvez pas prendre mais que vous ne pouvez pas éviter et qui vous heurte de plein fouet.

Après le passage de ce train, votre vie n’est plus tout à fait la même et c’est bien indépendamment de votre propre volonté que cela s’est produit et presque à votre insu, quoi que la violence du choc aurait du vous faire comprendre immédiatement l’intensité du bouleversement…

Mais il n’est pas d’aveuglement plus sombre que celui que l’on peut avoir face à soi-même…

L’onde de choc ainsi créée va être la mère d’une vague dont l’ourlet mettra un temps assez long à venir lécher le bout de vos pieds, et cela se produira au moment où vous vous y attendez le moins.

Si j’ai aujourd’hui le bonheur de pouvoir écrire avec plaisir quelques choses qui ont du sens, ou à tout le moins qui peuvent parfois prétendre en avoir, c’est grâce à une de ces rencontres, celle qui fut, je pense, ma véritable initiation amoureuse, qui dépassa en force et en puissance toutes les autres et qui pourtant fut la plus chaste puisque je n’ai encore jamais rencontré l’homme qui en a été à l’origine…

Elle eut lieu avant que j’atteigne ma trentième année.

C’est à la faveur de la lecture d’un billet d’une édition électronique du Monde que le destin a choisi de me faire signe il y a quelques années.

Ce billet parlait du travail d’un photographe, et donnait le lien de son site.

Vous serez sans doute très surpris lorsque vous apprendrez que cet homme, à ce jour, je ne l’ai pas rencontré, je ne sais pas à quoi il ressemble, je ne connais même pas sa voix…je ne connais de lui qu’une mosaïque qu’il s’est amusé à faire de lui-même, qu’il m’a livrée pour brouiller nos pistes…

Et pourtant, nous avons été amants, de grands, de beaux amants, épistolairement mais très violemment et très profondément, plus que je ne l’ai été avec quiconque, plus que je n’aurais pu l’être avec un homme que j’aurais rencontré « naturellement », avec une fougue et un désir de vérité, une exigence et une cohérence qui me laissent encore sans voix quand j’y pense aujourd’hui. Car j’y pense souvent et comment pourrait-il en être autrement ?

J’ai connu charnellement de très nombreux hommes (et même parfois des êtres qui méritaient à peine cette appellation), dans tous types de situation, mais aucun ne m’a mieux fait l’amour, aucun ne m’a permis non plus de faire mieux l’amour, aucun ne m’a comblée plus justement que lui et personne ne pourra jamais lui voler cette place de premier, car personne ne peut m’écrire ce qu’il m’a écrit, porter à ce degré de sensualité l’abstraction métaphysique, personne d’autre que lui n’a su me faire gémir à ce point, me faire souffrir, me faire jouir, en mêlant aussi étroitement les substances, les matières, les pensées et en m’envoyant ces mots …

Lorsque je le lisais, je le sentais, il était près de moi, au dessus de mon épaule, il était doux et généreux et adorateur, mais aussi tranchant, critique et libre, et homme et enfant, et très solide, et tellement prêt à vaciller.

Tout a commencé ainsi, lorsque je découvris sa première face, celle de sa photographie, qui m’a immédiatement touchée.

C’est une photographie d’ombres et de lumières, et de jeux de mots, de lapsus en images, de rêves et de cauchemars, vous croyez apercevoir une chose qui vous plaît mais en fait il s’agit d’une autre qui ne vous plaît pas du tout et en même temps, qui vous attrape pour ne plus vous lâcher, emmène votre esprit et votre vision dans un mouvement de va-et-vient, d’aller-retour, qui vous rend incapable de revenir à votre première impression, mais vous en laisse le goût sur la langue ; c’est une photographie qui, vraiment, dessine la lumière, mais la lumière de l’intérieur, la vôtre, c’est une image-miroir où vous ne pouvez que sombrer et commencer à vous questionner, à questionner le monde par le bas, par le fond...

C’est comme cela que j’ai senti sa première emprise sur moi, en contemplant une photographie sur laquelle un vieux landau ou un vieux vélo d'enfant gisait sous une sorte de flaque d’eau, quelque part dans ce qui aurait pu être la cour d’une usine ou d’une vieille HLM de Riga ère post-soviétique…

De tableaux en tableaux, j’ai rencontré finalement quelques textes de cet homme. Et comme souvent lorsque je lis quelque chose qui me plaît, me dérange ou m’intrigue, j’ai eu envie de lui écrire et de le questionner, et je voulais mon Rêve bleu, quel qu’en soit le prix.

Car ses mots et ses idées sont venus à moi comme un point d’orgue à son travail pictural, comme pour me signifier qu’il y avait là vraiment, vraiment, beaucoup d’émotions réfléchies, d’introspection et de sensibilité assumée, magnifiée, fortifiée par un sens.

Je ne pouvais pas savoir à quel point il serait, en effet, important et comme le fulgurant chassé-croisé de nos deux vies modifierait la mienne de façon chaque jour un peu plus inexorable.

Il me demande aujourd’hui s’il n’est pas un fantasme lui-même à lui-même, il lui arrive de se questionner sur sa propre réalité, mais je n’ai aucun doute sur sa concrétude quoi que je n’ai même jamais touché le bout de son doigt, ni aucun millimètre carré de sa peau …

Cette correspondance qu’il m’a offerte m’a été d’un immense soutien affectif et moral à des heures très sombres de ma vie encore jeune ; souvent quand je le relisais, alors même que nos échanges avaient cessé depuis de très nombreux mois, je posais ainsi en pensée ma tête sur son épaule, comme en retrouvailles après une marche épuisante, mais bienheureuse car nécessaire…je le sentais si proche que c’en était effrayant, et pourtant.

Ses mots, ses lumières colorées ou sombres, m’ont été comme autant de divinités protectrices, comme des grigris, de petits sacs de cuir attachés à mon cou à l’intérieur desquels il aurait trouvé la force de mettre de l’amour, car pour un homme, il s’agit vraiment d’être fort pour savoir aimer une femme…

Je crois que c’est en cela aussi qu’il m’a fascinée, en cette capacité de dire à une femme, le bon mot, au bon moment, ce qui est si rare chez un homme, non pas ce qu'elle VEUT entendre mais ce qu'il lui FAUT entendre, en sa capacité à pouvoir parler à une femme comme à un frère égal dans son humanité tout en magnifiant les beautés de son sexe…

C’est le seul homme qui ait bien voulu faire de moi une page blanche de son livre intime et s’y laisser couler sans retenue, pour me parler de la vie ,de l’amour ,et de la mort, bien sûr.

Il a pris cette peine d’écrire pour moi de belles choses qui avaient du sens, et il m’a guidée immédiatement sur une voie où je ne pouvais que le suivre, alors même que c’était moi qui l’avait déniché derrière ses pixels.

Ses mots d’amour m’ont encouragée sur le chemin de l’écrire-au-plus-juste, avec une sorte d’obsession maniaque, et quand je parle de ses mots d’amour, je ne parle pas de niaiseries; il y a bien plus d’amour parfois dans l’évocation de choses ou d’évènements métaphysiques que dans tous les « je t’aime » du monde, il y a bien plus d’amour dans le temps passé à écrire à un autre les mots justes pour dire une pensée ou une sensation intimes, mûries, qui viennent de si loin qu’elles vous ramènent jusqu’à l’enfance de celui qui vous écrit.

Il y a bien plus d’amour dans le travail et la peine parfois que dans la légèreté de la pulsion.

Et ce qui était terrible avec lui, à cause de lui, ou grâce à lui, c’est qu’au travers de ces efforts de conceptualisation, il pouvait glisser des étreintes volcaniques et à la fin de mes lectures, je ne savais plus si il avait parlé à mon âme ou à mon corps, je me sentais toute-puissante, et perdue dans une sensualité qui partait du cœur.

Chacun de ses envois était pour cela attendu dans une transe, avec un nœud d’amoureuses à l’estomac et une faim intellectuelle que je ne me connaissais pas. La magie de la technique nous a permis de nous écrire en temps presque réel, et chaque courrier était comme un vêtement enlevé, petit à petit, nous nous mettions nu l’un face à l’autre, dans une dimension temporelle que n’offre pas la réalité immédiate et qui permit que ni lui ni moi n’ayons pris la fuite.

Ainsi, nous nous retrouvions souvent en fin de journée et jusque tard dans la nuit, emmêlés, avides, remplis de quelque chose et complètement étrangers à nous-mêmes, j’avais envie et besoin de le dévorer entièrement, nous fûmes de beaux amants cannibales, qui s’attaquaient de préférence à la tête.

Aurais-je pu vivre cela autrement ? Je ne le crois pas ,et à dire vrai, je suis même absolument sûre du contraire. Il nous a fallu cette distance physique qui ne correspondait pas au temps que nous nous étions créé, pour que nous puissions lui et moi, accoucher de nous-même.
Souvent lorsque je pense à nos ébats pleins de folie, de sang, de baisers, et de mots brûlants, de douleur et de plaisirs crus, je songe à la mise au monde. J’ai toujours cette impression que c’est ma propre tête qu’il a sortie de mon ventre, que c’est en lui et par lui que j’ai poussé mon premier cri. Je ne le savais pas alors mais ce cri était mon premier cri de femme.

Il m’a tellement prise toute entière, dans ma complexité, dans ma bêtise, dans ma laideur et dans ma part de beauté, il m’a tellement acceptée et il m’a tellement regardée, jusque dessous ma peau, il m’a tellement désirée, comme personne avant lui, qu’il m’a enfantée et m’a comblée en tout points…Je ne pourrai jamais douter qu’il a pensé et vécu chaque syllabe qu’il a écrite nous concernant, qu’il a pensé tout ce qu’il a pu voir de moi et en moi durant ces quelques semaines qui me semblent avoir duré une éternité.

Chaque fois que j’ouvrais une de ses lettres, mes mains tremblaient, j’étais saisie par l’appréhension qu’il soit, en quelques heures, devenu vulgaire, commun, mais non, chaque fois, il me ravissait, ravisseur, davantage encore et m’entraînait encore plus loin au fond de moi, en m’autorisant à lui écrire mes folies de jeune femme du 21ème siècle, ni belle ni laide, ni spécialement brillante ni complètement stupide ou inculte.

Il m’a magnifiée et m’a autorisé ainsi à m’aimer un peu.

Quand je pleurais sur la perte d’une partie de ma féminité, après avoir accouché, loin de lui alors, j’ouvrais une de ses missives et elle séchait mes larmes. Je sentais ses baisers sur mes yeux, je sentais qu’il était là consolateur et toujours aimant, me regardant au fond.

En pensant à lui j’écrivais ceci, bien après que nous nous soyons tus :

« Je rêve depuis toujours un homme qui vénère chacun de mes pas, qui retire mes bottes quand je rentre de la chasse , pour qui les autres femmes ne sont que copies ou esquisses bien pâles, un homme qui ne se sentirait pas humilié d'être ainsi à mes pieds, qui comprendrait qu'à cette position c'est moi, sa maîtresse, qu'il soumet, un homme qui brosse mes cheveux sans honte et que cela fasse sourire, un homme qui me prenne pleine de sang sans répugnance et qui me goûte ainsi même au plus fort de la désespérance, un homme qui me fasse une statue parce que je serai forte et aride et salée comme un désert, mais fragile et humide et ombrageuse comme un tapis de mousse dans un sous bois, un homme qui m'embrasse comme un égal qui peut porter une armure, qui m'enlace après la joute, un homme qui me fasse suffisamment confiance pour goûter la liberté que je veux lui donner et qui n'en profite pas pour me berner, un homme qui me laisse lui apprendre ce qu'il ne sait pas sans courber l'échine et sans me faire payer ses propres insuffisances, qui en retour, m'apprendra ce que j'ignore, je rêve un homme qui me fesse puis me console puis me cajole et puis me morde, je veux un homme qui me baigne, qui puisse jouir en me regardant, en me parlant, en m'écoutant, un homme débarrassé de tout complexe , qui soit un chien, qui soit un chat, qui soit un loup et qui me fasse reine, un homme qui sache se laisser aller à la douce et sauvage quiétude de l'enfant à sa mère, cruelle, amusée, charnelle, fusionnelle...

Un homme qui me verrait chaque jour comme une page vierge nouvelle où écrire un passage de son histoire, un homme qui fasse de moi le livre de sa vie... »

Il a véritablement été une source d’inspiration sans limite pour moi , il l’est d’ailleurs toujours et je ne sais pas si cette source se peut tarir, et son œuvre a fait son temps pour arriver encore jusqu’à moi aujourd’hui, elle chemine toujours au plus intime de ma pensée et j’ai offert à mon enfant le Rêve bleu qu’il m’a finalement donné lorsque j’ai décidé de le quitter.

Sans lui, sans sa force magnétique et douce, sans sa réflexion poétique, je n’aurais pas pu faire sauter certains verrous intimes, s’il ne m’avait pas, à sa manière, juste, précise, affectueuse mais rigoureuse, aimée au point de rendre possible que je m’aime enfin moi même, sans vanité mais sans honte non plus, s’il ne s’était pas vautré dans mon cul poisseux de lui autant que dans mes lettres et dans mes pensées divagantes, s’il n’avait pas griffé ma peau comme il a écrit ses mots, s’il ne m’avait pas regardée comme il a conçu ses tableaux photographiques, je ne pourrais pas aujourd’hui écrire, ni même envisager de le faire.

Il a été pour moi la plus belle démonstration de ce que l’Amour est capable de faire pour quelqu’un lorsqu’il est patience et démonstration par l’esprit…

Je n’aurais peut être pas pris la peine non plus de me pencher sérieusement sur ce que peut bien être l’Amour, moi qui me suis tant plu à dire que c’était une névrose.

Je ne crois plus cela aujourd’hui.

L’Amour, c’est la possibilité que vous offre un Autre-que-vous-même de prendre conscience de vous à travers lui, au plus juste, c’est un état contemplatif et assez teinté de narcissisme où vous rejoint une personne qui s’offre et vous laisse vous offrir sans peur, vous permettant ainsi de réparer des blessures très intimes et parfois très secrètes, pour vous rendre plus fort, ou plus exactement, plus solide pour affronter les duretés quotidiennes de la vie.

Au soir de votre mort, je crois même que l’Amour vous aide à lâcher la main de ceux qui vous entourent pour basculer vers l’au-delà et vous permet de vous détacher sans vous arracher. Ce qui est douloureux sans amour devient facile avec amour.

Penser à lui aujourd’hui me remplit toujours de la même chaleur diffuse, de la même envie de le prendre à pleine bouche, de lui donner mon corps et plus encore même, que je ne peux lui donner…Je me rappelle si bien quand il disait vouloir se glisser dans ma peau de ce « Matin New York »…"

Ishtar COHEN

5 commentaires:

Anonyme a dit…

tres beau texte
un tantinet noir et nevrosé mais
tres belle façon d aimer
exclusive et maladive
imaginaire et desiré
l 'amour quoi....!!!

Anonyme a dit…

tu doit etre bien malheureuse pour ecrire ce genre de chose la louve

xxxxxxxx

Osemy a dit…

Qui a dit que c'était moi qui ai écrit ce texte?

Et je ne suis pas malheureuse!

Anonyme a dit…

je n ai jamais dit que tu l avais ecrit
je connais ce livre
je dit juste que faire référence à cette "correspondance" demontre une certaine tristesse , une certaine recherche , c'est tout .


xxxxxxxxxxx

Anonyme a dit…

...Hugo avait été la première (et sans doute unique) personne à comprendre qu'Elyah n'était pas cette virevoltante pute que la flagrance des apparences semblait suggérer, mais simplement une fille d'une rare douceur, complètement dépassée par sa propre féminité.
« Une femme facile, ce n'est jamais rien d'autre qu'une femme sélective s'octroyant un vaste choix ! », lui avait-il sorti le jour où ils s'étaient retrouvés après un premier clash sentimental.
Elle avait alors ressenti les prémices de quelque chose qui ne serait pas un amour, une historielle ou un simple plan cul, mais une mystérieuse combinaison des trois.
Et plus encore, si infinités : l'Hammour...