lundi 26 mars 2012

Quelques mots sur l'affaire Merah - Le Journal de Maître EOLAS

NB : la rédaction de ce billet a commencé avant le dénouement tragique de l’affaire. Pris d’une soudaine crise de flemme, je n’ai pas recommencé la rédaction.

Comme souvent quand une affaire vient sur le devant de la scène médiatique (et celle là n’est même plus sur le devant de la scène, elle est tombée dans la fosse d’orchestre), on me pose de nombreuses questions sur les aspects judiciaires. Le plus simple dans ces cas est de faire un billet reprenant les questions revenant souvent et d’y apporter une réponse collective, étant précisé que je n’interviens à aucun titre dans cette affaire, et que mes sources sont la presse, qui fait globalement bien son boulot malgré des spectacles navrants de remplissage de vide sur les chaînes d’info en continu, dont le modèle laisse décidément à désirer.

Pourquoi cette affaire a-t-elle été qualifiée de terroriste, et d’abord c’est quoi cette qualification ?

Le code de procédure pénale (CPP) pose les règles générales applicables aux instructions. Mais d’années en années, des réformes ont ajouté à la fin du code toute une série de règles dérogatoires au droit commun, jamais au bénéfice des personnes soupçonnées, mais, bien sûr, au nom de notre sécurité, l’alibi absolu avec la protection des enfants (ceux là même qu’il faut envoyer en prison dès 12 ans).
C’est ainsi que le CPP prévoit des règles de procédure spécifiques pour :
► Les actes de terrorisme (art. 706-16 à 706-25-1).
► Le trafic de stupéfiants (art.706-26 à 706-33).
► La traite des être humains (art.706-34 à 706-40).
► Les infractions sexuelles (art. 706-47 à 706-53-12).
► Les infractions en bande organisée (art. 706-73 à 706-106).
Ajoutons à cela des règles dérogatoires pour les infractions commises par les personnes morales, les majeurs protégés, les déments, en matière sanitaire, économique et financière, et de pollution maritime, et vous comprenez que les larmes qui accueillent tant chez les avocats que les magistrats l’annonce d’une nouvelle réforme du CPP ne sont pas toutes de joie et de reconnaissance éperdue.
En principe, un acte de terrorisme n’est pas une infraction autonome. Il s’agit d’une infraction de droit commun dont le législateur fait la liste[1], mais commises « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
À ces délits viennent s’ajouter des infractions qui elles sont spécifiques au terrorisme : l’introduction dans l’environnement d’une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel dans le cadre d’une entreprise terroriste, l’association de malfaiteurs[2], le financement d’une organisation se livrant au terrorisme[3], ou le fait de ne pouvoir justifier de son train de vie quand on est en relation habituelle avec des personnes se livrant à du terrorisme[4], qui sont en faits des infractions existantes aggravées ou adaptées (la dernière s’inspire du proxénétisme).
Et à quoi ça sert ?
Tout d’abord, les infractions en questions sont toutes aggravées (sauf l’association de malfaiteurs, on touche déjà le plafond de 10 ans encourus). Les destructions volontaires en réunion, qui font encourir 5 ans de prison, en font encourir sept dans le cadre du terrorisme.
En outre, en présence d’une de ces infractions, le tribunal de grande instance de Paris est compétent, en concurrence avec le parquet local du lieu de l’infraction, ici Toulouse et Montauban. Cela ne veut pas dire que deux enquêtes vont être menées en parallèle, le code prévoit les règles de l’éventuelle transmission du dossier à Paris (art. 706-18 du CPP). Pourquoi ?
Parce que les juges et avocats de province sont trop mauvais
Parce que le parquet de Paris est doté d’une section spécialisée, la section C1, et de juges d’instruction également spécialisés dans la matière, et qui connaissent bien les différents réseaux, leur fonctionnement, leur mentalité, et qui ont une formation et des moyens d’enquête adaptés, que n’aura pas aussi facilement un juge d’instruction d’un petit tribunal de province, encore que la réforme des pôles de l’instruction, qui a regroupé les juges d’instructions dans les gros tribunaux, a fait perdre de la force à cet argument. Enfin, les crimes sont jugés par une cour d’assises spéciale composée de 7 magistrats professionnels sans jurés, pour mettre les citoyens à l’abri des pressions et représailles des organisations terroristes.
Enfin la garde à vue peut durer jusqu’à 96 heures, voire 144 heures (oui, 6 jours) en cas de menace imminente (mais une menace non imminente est-elle une menace ?). Jusqu’à il y a peu, le droit à l’entretien avec un avocat était repoussé à la 48e heure, et l’avocat devait être choisi sur une liste spéciale établie par le Conseil national des Barreaux (CNB). Le Conseil constitutionnel ayant jugé ces dispositions contraires à la Constitution, c’est désormais le droit commun qui s’applique : droit à l’assistance de l’avocat de son choix dès la 1re heure, le parquet pouvant repousser cette assistance à la 12e heure de garde à vue par une décision motivée, et saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) pour obtenir une décision repoussant à la 24e heure l’intervention de l’avocat. L’avocat peut bien entendu assister so nclient au cours des interrogatoires et des confrontations.
Je précise que s’il s’avère que le quidam placé 6 jours en garde à vue n’a rien à voir avec le terrorisme, aucune nullité n’est encourue, il ne peut même pas prétendre à un mot d’excuse.

Cette affaire relevait-elle vraiment du terrorisme ?

En fait, le débat n’avait pas lieu d’être à ce stade. Le parquet est libre de la qualification qu’il donne aux faits qu’il décide de poursuivre, le juge pouvant, devant même, rendre aux faits leur véritable qualification en fonction de ce que l’enquête révélera. Si le juge d’instruction parisien saisi en raison de cette compétence d’exception estime finalement que les faits ne relèvent pas du terrorisme, il se déclare incompétent et rend le dossier à son tribunal naturel, compétent en vertu du droit commun.
En l’espèce, je ne vois pas d’incohérence à avoir estimé au stade du deuxième meurtre que les actions de Mohamed Merah ont été commises intentionnellement, en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, cet effet ayant même été atteint, notamment grâce au coup de main du Président de la République qui a aidé à filer la trouille à tous les élèves de France, dont ma fille qui me demande depuis mardi si on va venir la tuer à l’école.
Rétrospectivement, les faits ont donné raison à ceux qui ont fait ce choix.

Que change la mort du principal suspect ? Peut-on d’ailleurs le qualifier de coupable ?

Alors là, j’en ai lu des sottises, là dessus.
Dans un premier temps, la mort de Mohamed Merah ne change rien (sauf pour lui, pour qui ça change tout). L’instruction va être ouverte, si ce n’est déjà fait, car la vérité doit être faite sur les faits exacts, et d’éventuels complices doivent être identifiés et si possible interpellés. Toute personne lui ayant fourni en connaissance de cause, c’est à dire sachant qu’il se disposait à commettre des meurtres ciblés, un soutien logistique, ou lui ayant donné des instructions, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. La question se pose tout particulièrement au regard de l’arsenal dont il disposait. L’implication de ses proches doit également être vérifiée. La justice n’en a pas fini avec cette affaire.
S’agissant de Mohamed Merah, sa mort met fin à l’action publique : c’est l’article 6 du Code de procédure pénale. Il ne peut être mis en examen, jugé ou a fortiori condamné. En France, on ne juge pas les morts. Il n’y a pas si longtemps, on pouvait dire “on ne juge pas les morts et les fous”, mais les temps changent.
Mais l’extinction de l’action publique met fin aussi à la présomption d’innocence, qui ne s’applique qu’aux vivants pouvant faire l’objet d’un procès. Mohamed Merah n’est plus présumé innocent, je puis écrire ici qu’il est le meurtrier de Toulouse et de Montauban, tout comme je peux écrire que Lee Harvey Oswald a assassiné John Fitzgerald Kennedy sans violer sa présomption d’innocence, bien qu’il n’ait jamais été jugé pour son crime, ayant été abattu 3 jours plus tard.
Entendons-nous bien : le fait que sa présomption d’innocence ait pris fin ne veut pas dire qu’il est devenu présumé coupable. La question de sa culpabilité est devenu un sujet de libre débat.
Relisons les textes pertinents.
Sur la présomption d’innocence, le socle fondateur est la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait partie de notre Constitution (art. 9) :
Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
Vous comprendrez bien, j’espère, que les termes “homme” et “personne” ne s’appliquent qu’à des vivants. Juridiquement, c’est une évidence, la personnalité commençant à la naissance et prenant fin à la mort, c’est le premier cours de droit civil.
La protection de cette présomption se trouve à l’article 9-1 du Code civil :
Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence.
Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.
La cour d’appel de Paris a jugé en 1993 que cette action s’éteignait avec le décès et ne passait pas aux héritiers (c’était les héritiers de René Bousquet). La Cour de cassation n’a pas eu à connaître de la question à ma connaissance, ce qui semble indiquer que l’évidence est telle que nul ne s’est amusé à faire un pourvoi sur ce point.
Est-ce à dire que l’on peut impunément traîner dans la boue la mémoire des morts ?
Non. Affirmer qu’une personne décédée est coupable d’un crime dont elle n’a pu être jugée de son vivant est une atteinte à son honneur et à sa considération, et relève donc de la diffamation, dont c’est la définition. Ses héritiers peuvent exercer en son nom l’action de droit commun en diffamation. Rappelons en effet que la diffamation n’est pas la calomnie, et qu’on peut diffamer en disant la vérité. Cependant, la loi offre plusieurs échappatoires, de plus en plus larges grâce à la Cour européenne des droits de l’homme et au Conseil constitutionnel, à ceux qui disent la vérité.
Ainsi, si j’affirme publiquement, comme le fait Wikipédia d’ailleurs, que John Wilkes Booth a assassiné Abraham Lincoln, je m’expose éventuellement à une action en diffamation de ses héritiers, dont je pourrais aisément sortir triomphant en produisant devant le tribunal toute la littérature historique qui lui attribue preuves à l’appui ce sinistre forfait, aux côtés de Lewis Powell, David Herold, et George Atzerodt.
Pour en revenir au cas de Mohamed Merah, rien ne s’oppose à ce qu’on dise qu’il a tué 7 personnes, la prudence imposant simplement de s’assurer préalablement de la solidité des faits. On ne pourra jamais dire qu’il a été jugé coupable de ces meurtres, car il ne sera jamais jugé. Ce n’est pas illégal, c’est juste faux. Mais si vous voulez l’appeler “l’assassin de Toulouse”, vous pouvez, et vous direz que vous avez l’autorisation de Maitre Eolas.

Sur l’opération de police ayant conduit à la mort de Mohamed Merah

Je n’ai aucune compétence particulière pour répondre à des questions là-dessus, mes clients ayant la gentillesse d’éviter de me tirer dessus quand j’approche (et vu le montant de mes honoraires, ils ne sont pas sans un certain mérite). Le blog de Jean-Dominique Merchet contient un article intéressant et des réponses de membres du RAID ayant participé à l’opération s’exprimant sous couvert d’anonymat particulièrement éclairantes. Je conclurai en disant qu’en tant que citoyen, il me paraît souhaitable que la prochaine assemblée nationale réunisse une commission d’enquête parlementaire sur la question, tout simplement parce que c’est la le cœur de sa fonction, outre voter la loi : contrôler les deux autres pouvoirs. La République n’a rien à craindre de la lumière.

http://www.maitre-eolas.fr/post/2012/03/22/Quelques-mots-sur-l-affaire-Merah

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