lundi 9 juin 2008

"Toute situation révolutionnaire n'aboutit pas à la révolution." V.I. Oulianov, dit Lénine

(Je souligne, NDR)

"(...) Pour un marxiste, il est hors de doute que la révolution est impossible sans une situation révolutionnaire, mais toute situation révolutionnaire n'aboutit pas à la révolution.

Quels sont, d'une façon générale, les indices d'une situation révolutionnaire ? Nous sommes certains de ne pas nous tromper en indiquant les trois principaux indices que voici :

1) Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée; crise du "sommet", crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l'indignation des classes opprimées se fraient un chemin. Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas, habituellement, que "la base ne veuille plus" vivre comme auparavant, mais il importe encore que "le sommet ne le puisse plus".

2) Aggravation, plus qu'à l'ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées.

3) Accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l'activité des masses, qui se laissent tranquillement piller dans les périodes "pacifiques", mais qui, en période orageuse, sont poussées, tant par la crise dans son ensemble que par le "sommet" lui-même, vers une action historique indépendante.

Sans ces changements objectifs, indépendants de la volonté non seulement de tels ou tels groupes et partis, mais encore de telles ou telles classes, la révolution est, en règle générale, impossible.

C'est l'ensemble de ces changements objectifs qui constitue une situation révolutionnaire. On a connu cette situation en 1905 en Russie et à toutes les époques de révolutions en Occident mais elle a existé aussi dans les années 60 du siècle dernier en Allemagne, de même qu'en 1859-1861 et 1879-1880 en Russie, bien qu'il n'y ait pas eu de révolutions à ces moments-là.

Pourquoi ? Parce que la révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs ci-dessus énumérés, vient s'ajouter un changement subjectif, à savoir : la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement (ou partiellement) l'ancien gouvernement, qui ne "tombera" jamais, même à l'époque des crises, si on ne le "fait choir".

Telle est la conception marxiste de la révolution, conception maintes et maintes fois développée et reconnue indiscutable par tous les marxistes et qui, pour nous autres Russes, a été confirmée avec un relief tout particulier par l'expérience de 1905. La question est de savoir ce que présumait à cet égard le manifeste de Bâle de 1912 et ce qui est advenu en 1914-1915.

On présumait une situation révolutionnaire, brièvement décrite par l'expression "crise économique et politique". Cette situation est-elle survenue ? Oui, sans nul doute. Le social-chauvin Lensch (qui assume la défense du chauvinisme avec plus de droiture, de franchise et de loyauté que les hypocrites Cunow, Kautsky, Plékhanov et consorts) s'est même exprime ainsi:

"Nous assistons à ce qu'on pourrait appeler une révolution" (page 6 de sa brochure : La social-démocratie allemande et la guerre, Berlin 1915).

La crise politique est là : pas un des gouvernements n'est sûr du lendemain, pas un qui ne soit exposé à subir un krach financier, à être dépossédé de son territoire et expulsé de son pays (comme le gouvernement de Belgique s'est vu expulser du sien). Tous les gouvernements vivent sur un volcan; tous en appellent eux-mêmes à l'initiative et à l'héroïsme des masses. Le régime politique européen se trouve entièrement ébranlé, et nul ne s'avisera, à coup sûr, de nier que nous sommes entrés (et que nous entrons de plus en plus profondément - j'écris ces lignes le jour de la déclaration de guerre de l'Italie) dans une époque de grands ébranlements politiques.

Si, deux mois après la déclaration de guerre (le 2 octobre 1914), Kautsky écrivait dans la Neue Zeit [2] que "jamais un gouvernement n'est aussi fort et jamais les partis ne sont aussi faibles qu'au début d'une guerre", ce n'était qu'un des exemples de la façon dont Kautsky falsifie la science historique pour complaire aux Südekum et autres opportunistes.

Jamais le gouvernement n'a autant besoin de l'entente entre tous les partis des classes dominantes et de la soumission "pacifique" des classes opprimées a cette domination que pendant la guerre. Ceci, en premier lieu.

En second lieu, Si "au début d'une guerre", surtout dans un pays qui attend une prompte victoire, le gouvernement parait omnipotent, personne n'a jamais et nulle part au monde associé l'attente d'une situation révolutionnaire exclusivement au "début" d'une guerre et, à plus forte raison, n' a identifié l'"apparence" avec la réalité.

Que la guerre européenne serait plus dure que toutes les autres, tout le monde le savait, le voyait et le reconnaissait. L'expérience de la guerre le confirme toujours davantage.

La guerre s'étend. Les assises politiques de l'Europe sont de plus en plus ébranlées. La détresse des masses est affreuse, et les efforts déployés par les gouvernements, la bourgeoisie et les opportunistes pour faire le silence autour de cette détresse échouent de plus en plus souvent. Les profits que certains groupes de capitalistes retirent de la guerre sont exorbitants, scandaleux.

Les contradictions s'exacerbent au plus haut point. La sourde indignation des masses, l'aspiration confuse des couches opprimées et ignorantes à une bonne petite paix ("démocratique"), la "plèbe" qui commence à murmurer, - tout cela est un fait. Et plus la guerre se prolonge et s'aggrave, plus les gouvernements eux-mêmes développent et sont forcés de développer l'activité des masses, qu'ils appellent à une tension extraordinaire de leurs forces et à de nouveaux sacrifices. L'expérience de la guerre, comme aussi l'expérience de chaque crise dans l'histoire, de chaque grande calamité et de chaque tournant dans la vie de l'homme, abêtit et brise les uns, mais par contre instruit et aguerrit les autres, et, dans l'histoire mondiale, ces derniers, sauf quelques exemples isolés de décadence et de ruine de tel ou tel Etat, ont toujours été en fin de compte plus nombreux et plus forts que les premiers.

Non seulement la conclusion de la paix ne peut mettre fin "d'emblée" à toute cette détresse et à toute cette accentuation des contradictions, mais, au contraire, elle rendra sous bien des rapports cette détresse encore plus sensible et particulièrement évidente pour les masses les plus retardataires de la population.

En un mot, la situation révolutionnaire est un fait acquis dans la plupart des pays avancés et des grandes puissances d'Europe. A cet égard, la prévision du manifeste de Bâle s'est pleinement justifiée. Nier ouvertement ou non cette vérité, ou la taire, comme le font Cunow, Plékhanov, Kautsky et consorts, c'est proférer un mensonge monumental, c'est tromper la classe ouvrière et servir la bourgeoisie. Dans le Social-Démocrate [3] (n° 34, 40 et 41) [4] , nous avons cité des faits montrant que les hommes qui craignent la révolution, les prêtres-philistins chrétiens, les états-majors généraux, les journaux des millionnaires, sont obligés de constater des symptômes de la situation révolutionnaire en Europe.

Cette situation se maintiendra-t-elle encore longtemps et a quel point s'aggravera-t-elle ? Aboutira-t-elle à la révolution ?

Nous l'ignorons, et nul ne peut le savoir. Seule l'expérience du progrès de l'état d'esprit révolutionnaire et du passage de la classe avancée, du prolétariat, à l'action révolutionnaire le prouvera. Il ne saurait être question en l'occurrence ni d'"illusions" en général, ni de leur effondrement, car aucun socialiste ne s'est jamais et nulle part porté garant que la révolution serait engendrée précisément par la guerre présente (et non par la prochaine), par la situation révolutionnaire actuelle (et non par celle de demain).

Il s'agit ici du devoir le plus incontestable et le plus essentiel de tous les socialistes le devoir de révéler aux masses l'existence d'une situation révolutionnaire, d'en expliquer l'ampleur et la profondeur, d'éveiller la conscience et l'énergie révolutionnaires du prolétariat, de l'aider à passer à l'action révolutionnaire et à créer des organisations conformes à la situation révolutionnaire pour travailler dans ce sens.

Aucun socialiste responsable et influent n'a jamais osé mettre en doute ce devoir des partis socialistes; et le manifeste de Bâle, sans propager ni nourrir la moindre "illusion", parle précisément de ce devoir des socialistes : stimuler, "agiter" le peuple (et non l'endormir par le chauvinisme, comme le font Plékhanov, Axelrod, Kautsky), "utiliser" la crise pour "précipiter" la chute du capitalisme; s'inspirer des exemples de la Commune et d'octobre-décembre 1905.

Ne pas accomplir ce devoir, voilà en quoi se traduit la trahison des partis actuels, leur mort politique, l'abdication de leur rôle, leur passage aux côtés de la bourgeoisie.(...)"

Extrait de : La Faillite de la IIè Internationale (dispo. sur Marxists.org)

3 commentaires:

François a dit…

Merci pour ce texte de Lénine qui pourrait s'écrire aujourd'hui.

En effet les trois points indispensables pour parler de situation révolutionnaire sont tout à fait réunis,actuellement chez nous.

1)la crise du"sommet" :on y est,pour maintenir la "paix sociale "le gouvernement accentue la répression policière,les peines de prisons,les interdictions de faire grève par le biais des services minimums...

2)Aggravation de la misère :de plus en plus de gens qui travaillent vivent à la rue,de moins en moins de gens peuvent se nourrir convenablement;certains,dont des retraités,se nourrissent grâce au contenu des poubelles de supermarchés,les gens prennent de moins en moins de vacances,les gens peuvent de moins en moins se soigner...tous les gens,ou presque, ont l'angoisse de l'avenir noir qui les attend,ils ont peur pour eux et pour leurs enfants de cette paupérisation en marche.

3)Accentuation marquée de l'agitation des masses:Les manifs n'arrêtent pas de partout;les transports,les écoles,les personnels hospitaliers,toute la fonction publique et énormément de petites boîtes qui sont en conflit mais dont on ne parle pas...

Que nous manque-t-il? Un parti d'avant garde qui,plutôt que d'aller au Lyban avec Sarko.,fédèrent les luttes avec un syndicat qui ne s'assoit pas à la table des négociations alors que le préalable du gouvernement est inacceptable(régimes spéciaux).Qui fait prendre conscience aux travilleuses et travailleurs que leur combat est celui des toutes et tous bref,fait honnêtement son boulot de parti et syndicat révolutionnaires.

Car,si j'ai bien compris ce que nous dit Lénine, toute situation révolutionnaire ne se transforme pas en révolution parce que cette situation n'est pas exploitée comme telle.

Ce n'est pas le moment de baisser les bras,à nous de jouer.

Salutations révolutionnaires à toutes et tous.

François

Anonyme a dit…

les deux Octobres
Piotr Archinov

Il a été institué légalement, dans le calendrier bolchevik, d’appeler la révolution victorieuse des ouvriers et des paysans de 1917 « révolution d’Octobre ». Il y a une part de vérité en cela, mais ce n’est pas entièrement exact.
En octobre 1917, les ouvriers et paysans de Russie ont écarté un obstacle colossal, empêchant le développement de leur révolution ; ils supprimèrent ainsi le pouvoir nominal des classes capitalistes, mais avant cela ils réalisèrent des actes d’une importance révolutionnaire non moindre, et peut-être même plus fondamentaux encore, en enlevant aux classes capitalistes leur pouvoir économique : la terre aux grands propriétaires terriens à la campagne, le droit à un travail libre et non contrôlé en ville, quand ce ne fut pas le contrôle total des usines. Par conséquent, c’est bien avant Octobre que les travailleurs révolutionnaires ont détruit la base du capitalisme. Il n’en restait que la superstructure politique.
S’il n’y avait eu cette expropriation générale dans le pays des capitalistes par les travailleurs, détruisant la machine étatique bourgeoise, la révolution politique n’aurait pas réussi pareillement, peut-être même n’aurait-elle pas réussi du tout, car alors la résistance des possédants aurait été bien plus grande.
D’autre part, l’objectif de la révolution sociale en octobre ne s’arrêta pas au renversement du pouvoir capitaliste. Une longue période de réalisations pratiques, d’une autogestion sociale et d’édification socialiste était en vue devant les travailleurs, mais elle échoua lors des années qui suivirent. Ainsi donc, en considérant tout le déroulement de la révolution socialiste russe, Octobre n’apparaît que comme l’une de ses étapes ; étape puissante et décisive, il est vrai.
Voilà pourquoi Octobre ne représente pas à lui seul toute la révolution sociale. Il faut tenir compte de cette circonstance historique, déterminante dans la Révolution sociale russe, en pensant aux journées victorieuses d’Octobre.
Une autre particularité non moins importante réside en ce qu’Octobre contient deux significations : celle que lui ont donnée les masses laborieuses ayant participé à la révolution sociale, et avec elles les anarchistes-communistes ; l’autre signification est celle que lui a donnée le parti politique qui a conquis le pouvoir, à partir de cette aspiration à la révolution sociale, et qui en trahit et étouffe par la force tout développement ultérieur.
Un énorme fossé existe entre ces deux interprétations d’Octobre.
L’Octobre des ouvriers et des paysans, c’est la suppression du pouvoir des classes parasites au nom de l’égalité et de l’autogestion. L’Octobre des bolcheviks, c’est la conquête du pouvoir par le parti de l’intelligentsia révolutionnaire, l’instauration de son « socialisme » étatique et de ses méthodes « socialistes » de gouvernement des masses.
L’Octobre des travailleurs
La révolution de Février surprit les différents partis révolutionnaires en pleine débâcle, et c’est sans doute avec une surprise considérable que leur apparut le caractère social profond de la révolution naissante. Les premiers temps personne, hormis les anarchistes, ne voulait y croire. Le Parti bolchevik, qui prétendait toujours exprimer les aspirations les plus radicales de la classe ouvrière, ne dépassait pas dans ses visées les bornes de la Révolution bourgeoise.
Ce n’est qu’à la conférence d’avril 1917 qu’il se posa la question de savoir ce qui se passait réellement en Russie : était-ce seulement le renversement du tsarisme ou bien la révolution aspirait-elle à aller plus loin, jusqu’à renverser le capitalisme ?
Cette dernière éventualité posait aux bolcheviks le problème de savoir quelle tactique employer. Lénine avait pris conscience, avant les autres bolcheviks, du caractère social de la révolution, et préconisait la nécessité de la prise du pouvoir. Il voyait un appui décisif dans le mouvement des ouvriers et paysans qui sapait de plus en plus les fondements de la bourgeoisie industrielle et terrienne. Un accord unanime ne put se faire sur cette question jusqu’aux journées même d’octobre 1917, le parti louvoya tout ce temps entre les mots d’ordre sociaux des masses et la conception d’une Révolution social-démocrate, à partir de laquelle il s’était créé et développé.
Ne s’opposant pas au slogan de la petite et grande bourgeoisie pour une Assemblée constituante, le parti s’efforça de contrôler les masses, tâchant de rester dans la foulée de leur course sans cesse plus rapide. Pendant ce temps, les travailleurs marchaient impétueusement en avant, ayant redressé leur dos puissant, après le renversement du tsarisme, ils terrassaient sans cesse leurs ennemis de gauche ou de droite, marchaient témérairement vers leur victoire. Les gros propriétaires terriens se mirent partout à évacuer les campagnes, se sauvant de la paysannerie insurgée et cherchant la protection de leurs biens et de leurs personnes dans les villes, car la paysannerie procédait à une répartition directe des terres et ne voulait pas entendre parler de cohabitation ou de coexistence avec les propriétaires terriens.
En ville aussi un « changement brusque des rapports » se produisit entre les ouvriers et les propriétaires des entreprises. Grâce aux efforts du génie collectif des masses, des comités de travailleurs prirent forme dans toutes les entreprises : usines, transports, mines… intervenant fermement dans la production, écartant les admonestations des possédants et mettant à l’ordre du jour l’élimination de ceux-ci de la production.
Ainsi dans les différents endroits du pays, les ouvriers se mirent à procéder à la socialisation des entreprises. Simultanément à ces faits, toute la Russie laborieuse révolutionnaire se couvrit d’un vaste réseau de soviets d’ouvriers et de paysans, qui commencèrent à fonctionner comme organes d’autogestion. Ils développaient, prolongeaient et défendaient la révolution.
L’ordre et le pouvoir capitalistes existaient encore nominalement dans le pays, mais un vaste système d’autogestion sociale et économique des travailleurs naissait en parallèle et se développait.
Ce régime des soviets et des comités d’usine, du fait même de son apparition, menaça de mort le système étatique. Il est à préciser que la naissance et le développement des soviets et comités d’usine n’étaient liés en rien avec les principes autoritaires.
Tout au contraire, ils étaient dans le, sens plein du terme des organes d’autogestion sociale et économique des masses et en aucun cas les organes d’un pouvoir d’État. Ils s’opposaient à la machine étatique qui prétendait diriger les masses, et se préparaient à un combat décisif contre elle.
« Les usines aux ouvriers la terre aux paysans ». Voilà les mots d’ordre à partir desquels les masses révolutionnaires des villes et des campagnes participaient au renversement de la machine de l’Etat des classes possédantes, au nom du nouveau système social fondé sur les cellules de base qu’étaient les comités d’usine, et les soviets économiques et sociaux.
Ces mots d’ordre circulaient d’un bout à l’autre de la Russie laborieuse, imprégnant profondément son action directe contre le gouvernement de coalition socialiste-bourgeois.
Ainsi qu’il est exposé plus haut, les ouvriers et paysans oeuvraient déjà avant octobre 1917, à l’entière reconstruction du régime industriel et agraire de la Russie. Le problème agraire était virtuellement résolu par la paysannerie pauvre, dès juin à septembre 1917.
Les ouvriers des villes, de leur côté, mettaient au point des organes d’autogestion sociale et économique, ayant enlevé à l’Etat et aux possédants les fonctions organisatrices de la production. La révolution d’Octobre des travailleurs renversa le dernier et le plus grand des obstacles au développement de leur révolution : le pouvoir dÉtat des classes possédantes, déjà battues et désorganisées. Cette dernière évolution ouvrit un vaste horizon pour l’achèvement de la révolution sociale, l’introduisant dans la voie créatrice de la reconstruction socialiste de la société, indiquée déjà par les travailleurs, les mois précédents. Voilà l’Octobre des ouvriers et des paysans.
Il signifie une puissante tentative des travailleurs manuels surexploités pour détruire totalement les fondements de la société capitaliste, et édifier une société de travailleurs, basée sur les principes d’égalité, d’indépendance et d’autogestion du prolétariat des villes et des campagnes. Cet Octobre là n’a pas reçu sa conclusion naturelle. Il fut interrompu violemment par l’Octobre du Parti bolchevik, lequel étendit progressivement sa dictature dans tout le pays.
L’Octobre du Parti bolchevik
Tous les partis étatistes, y compris le Parti bolchevik, limitaient les bornes de la Révolution russe à l’instauration d’un régime social-démocrate. Ce n’est que lorsque les ouvriers et les paysans de toute la Russie se mirent à ébranler sérieusement l’ordre agraro-bourgeois, lorsque la Révolution sociale s’avéra être un fait historique irréversible, qu’alors seulement les bolcheviks se mirent à discuter du caractère social de la Révolution russe, et à modifier en conséquence leur tactique. Il n’y eut pas d’unanimité au sein du parti sur les questions du caractère et de l’orientation des événements qui avaient lieu, cela jusqu’en octobre même.
En outre, la révolution d’Octobre, ainsi que les événements qui suivirent, se déroula alors que le comité central du parti était divisé en deux tendances opposées. Tandis qu’une partie du comité central, Lénine en tête prévoyait l’inévitable révolution sociale et proposait la préparation à la prise du pouvoir, l’autre tendance, avec à sa tête Kamenev et Zinoviev, dénonçait comme aventuriste la tentative d’une révolution sociale, et n’allait pas plus loin que l’instauration d’une Assemblée constituante, dans laquelle les bolcheviks occuperaient les sièges les plus à gauche (Cf. Les Leçons d’Octobre de Trotsky).
Le point de vue de Lénine prévalut et le parti se mit à mobiliser ses forces dans le cas d’une lutte décisive des masses contre le gouvernement provisoire. Le parti se lança dans le noyautage des comités d’usine, des soviets de députés d’ouvriers, faisant tout son possible pour obtenir dans ces organes d’autogestion, encore inexpérimentés, le plus de mandats possible afin de contrôler leur action. Cependant la conception et l’approche des soviets et des comités d’usines du Parti bolchevik étaient fondamentalement différentes de celles des masses.
Alors que la masse des travailleurs considérait les soviets et les comités d’usines et d’ateliers, constitués par elle, comme les organes de son autogestion sociale et économique, le Parti bolchevik les considéra lui comme un simple moyen à l’aide duquel il était possible d’arracher le pouvoir à la bourgeoisie en perdition, et ensuite d’utiliser ce pouvoir conformément à sa doctrine de parti.
Ainsi une différence énorme se révéla dans les conceptions et les perspectives d’Octobre, entre les masses révolutionnaires et le Parti bolchevik.
Dans la premier cas, il était question du renversement du pouvoir en vue de renforcer et d’élargir les organes, déjà constitués, de l’autogestion des ouvriers et des paysans. Dans le second cas, il était question de s’appuyer sur ces organes pour s’emparer du pouvoir, de subordonner au parti toutes les forces révolutionnaires.
La divergence, nous le voyons, était énorme.
Elle s’agrandit ensuite, durant tout le cours ultérieur de la Révolution russe, dans la destinée de laquelle elle joua un rôle funeste. Le succès des bolcheviks dans la révolution d'Octobre, c’est-à-dire le fait qu’ils se retrouvèrent au pouvoir et subordonnèrent à leur parti ensuite toute la révolution, s’explique par le fait qu’il leur fut possible de substituer, par un tour de prestidigitation, l’idée d’un pouvoir soviétique à l’idée de la révolution sociale et de l’émancipation sociale des masses.
A priori, ces deux idées pouvaient paraître non contradictoires car il était possible de comprendre le « pouvoir soviétique » comme le pouvoir des soviets, et cela facilita la substitution de l’idée du pouvoir soviétique à l’idée de la révolution.
Cependant, dans leur réalisation et dans leurs suites, ces idées se heurtaient violemment. La conception du pouvoir soviétique incarnée par l’État bolchevik, se transforma en un pouvoir bourgeois tout à fait traditionnel concentré en une poignée d’individus, voulant soumettre à leur autorité tout ce qu’il y a de fondamental et de plus puissant dans la vie du peuple : la révolution sociale dans ce cas précis. Donc, à l’aide de l’idée du « pouvoir des soviets », dans lequel les bolcheviks accaparèrent la plupart des postes, ils parvinrent effectivement à un pouvoir total et purent proclamer leur dictature dans tout le pays révolutionnaire.
Cela leur fournit la possibilité d’étouffer tous les courants révolutionnaires des travailleurs, en désaccord avec leur doctrine, de remanier tout le cours de la Révolution russe et de lui faire adopter multitude de mesures contraires à son essence.
L’une de ces mesures fut la militarisation du travail durant les années du communisme de guerre ; militarisation des travailleurs, alors que des millions d’aigrefins et de parasites purent vivre dans la tranquillité, le luxe et la paresse. Une autre mesure fut la guerre menée entre la ville et la campagne, provoquée par la politique du parti, considérant les campagnes comme des éléments peu sûrs et étrangers à la révolution. Ce fut enfin l’étranglement de la pensée libertaire et du mouvement anarchiste, dont les idées sociales et les mots d’ordre firent la force de la Révolution russe et l’orientèrent vers la révolution sociale. D’autres mesures consistèrent en l’interdiction d’un mouvement ouvrier indépendant, l’étouffement de la liberté de la presse ouvrière et de la liberté de parole des travailleurs en général.
Tout se réduisit à un seul centre, d’où émanèrent toutes les instructions concernant la façon de vivre, de penser et d’agir des masses laborieuses.
Voilà ce qu’est l’Octobre des bolcheviks.
C’est en lui que s’incarne l’idéal poursuivi pendant des dizaines il années par l’intelligentsia socialiste révolutionnaire, enfin réalisé présentement par la dictature sans partage du Parti communiste panrusse. Cet idéal satisfait l’intelligentsia dirigeante, malgré les conséquences catastrophiques pour les travailleurs ; maintenant elle peut célébrer avec faste le jubilé des dix années de son pouvoir.
Les anarchistes
L’anarchisme révolutionnaire fut le seul courant politico-social à prôner l’idée d’une révolution sociale auprès des ouvriers et des paysans, tant durant la Révolution de 1905 que dès les premiers jours de la Révolution de 1917. En fait le rôle qu’il aurait pu remplir, était colossal, ainsi que les moyens de lutte employés par les masses elles-mêmes.
De même, aucune théorie politico-sociale n’aurait pu se fondre aussi harmonieusement avec l’esprit et l’orientation de la Révolution. Les interventions d’orateurs anarchistes en 1917 étaient écoutées avec une confiance et une attention rares par les travailleurs.
Il aurait pu sembler que l’union du potentiel révolutionnaire des ouvriers et des paysans, et de la puissance idéologique et tactique de l’anarchisme, représenterait une force à laquelle rien n’aurait pu s’opposer. Malheureusement, cette fusion n’eut pas lieu.
Des anarchistes isolés menèrent parfois une activité révolutionnaire intense au sein des travailleurs, mais il n’y eut pas d’organisation anarchiste de grande ampleur pour mener des actions plus suivies et coordonnées (en dehors de la Confédération du Nabat et de la Makhnovchtchina en Ukraine).
Seule une telle organisation aurait pu lier idéologiquement les anarchistes et les millions de travailleurs. Alors que, pendant une période révolutionnaire aussi importante et privilégiée, les anarchistes se bornèrent pour la plupart, à des activités limitées de petits groupes, ne sortirent pas de leur coquille groupusculaire, au lieu de s’orienter vers des actions et des mots d’ordre politiques de masse.
Ils préférèrent se noyer dans la mer de leurs querelles intestines, ne tentèrent pas une seule fois de poser et de résoudre le problème d’une politique et d’une tactique communes de l’anarchisme.
Par cette carence, ils se condamnèrent à l’inaction et à la stérilité pendant les moments les plus importants de la Révolution sociale.
Les causes de cet état catastrophique du mouvement anarchiste résidaient indubitablement dans l’éparpillement, la désorganisation et l’absence d’une tactique collective, qui presque toujours ont été érigés en principe chez les anarchistes, leur interdisant de faire un seul pas organisationnel pour pouvoir orienter d’une façon décisive la révolution sociale.
Il n’y a aucun intérêt, actuellement, à dénoncer, ceux qui, par leur démagogie, leur insouciance et leur irresponsabilité, contribuèrent à créer cette situation de fait. Mais l’expérience tragique qui a mené les masses laborieuses à la défaite, et l’anarchisme au bord de l’abîme, doit être assimilé dès maintenant. Nous devons combattre par le mépris et stigmatiser impitoyablement tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, continuent à perpétuer le chaos et la confusion dans l’anarchisme, tous ceux qui font obstacle à son rétablissement et à son organisation. C’est-à-dire tous les efforts du mouvement pour l’émancipation du Travail et la réalisation de la société anarchiste-communiste.
Les masses laborieuses apprécient et sont instinctivement attirées par l’anarchisme, mais elles n’œuvreront avec le mouvement anarchiste que lorsqu’elles seront convaincues de sa cohérence théorique et organisationnelle. Il est nécessaire à chacun de nous de faire le maximum pour atteindre cette cohérence.
Conclusions et perspectives
La pratique bolchevik de ces dix dernières années montre clairement l’orientation de ce pouvoir, chaque année il restreint un peu davantage les droits sociaux et politiques des travailleurs, et leur enlève leurs conquêtes révolutionnaires. Il n’y a aucun doute que la « mission historique » du Parti bolchevik se vide de tout son sens et qu’il tentera d’amener la Révolution russe à son objectif final : le Capital d’État, au salariat esclavagiste, c’est-à-dire au pouvoir renforcé des exploiteurs et à la misère croissante des exploités.
En parlant du Parti bolchevik en tant que parti de l’intelligentsia socialiste, exerçant son pouvoir sur les masses laborieuses des villes et des campagnes, nous avons en vue son noyau central dirigeant, qui par son origine, sa formation et son mode de vie actuel, n’a rien de commun avec la classe ouvrière et malgré cela, réglemente tous les détails de la vie du parti et des masses ; ce noyau tentera de rester jusqu’au bout au-dessus du prolétariat, celui-ci n’a rien à en attendre.
Les possibilités des militants de base du parti, en comptant les jeunesses communistes, apparaissent différemment. Cette masse a participé passivement à la politique négative et contre-révolutionnaire du parti.
Étant issue du cœur de la masse ouvrière, elle est capable d’arriver à prendre conscience de l’authentique Octobre des ouvriers et paysans, et de venir à sa rencontre. Nous ne doutons pas que de cette masse sortent bon nombre de combattants pour l’Octobre des travailleurs.
Souhaitons qu’elle assimile le plus rapidement le caractère anarchiste de cet octobre et qu’elle lui vienne en aide ; de notre côté faisons ce qui nous est le plus possible pour montrer ce caractère et aider en cela les masses à reconquérir et conserver les grandes conquêtes révolutionnaires.
Piotr Archinov, octobre 1927

Makhno

François a dit…

Pas de doute ces écrits pourraient être d'hier,ils sont totalement d'actualité.

On ne peut pas lire ses lignes sans penser à la situation actuelle chez nous,au niveau Européen et Mondial.

Une situation révolutionnaire,trois points:

1)la crise du " sommet ": on est en plein dedans;la répression qui s'abat tous azimuts,le musellement des médias par censure,PIRE auto-censure,caméras partout,fichages sauvages à n'importe quel prétexte,test ADN là-aussi pour des motifs futiles;des flics de plus en plus nombreux,armés comme des porte-avions et soutenus mordicus par leur hiérarchie...

2)aggravation de la misère pire qu'à l'habitude : on voit de plus en plus de gens qui travaillent et dorment dans la rue;il y a de plus en plus de chômage(quoi qu'on nous dise)de plus en plus de gens mangent grâce aux contenus des poubelles des hipermarchés QUAND ON NE LES EN EMPECHE PAS;les gens doivent de plus en plus choisir:manger ou se soigner;l'enseignement pour les plus défavorisés est complètement remis en cause;le boulot est de moins en moins sûr,les mi-temps sont légion,l'intérim est florissant...

Et ce même gouvernement qui prétend vouloir s'occuper du pouvoir d'achat,envisage pour 2009 ou 2010 de vendre des voitures NEUVES pour 1600 €...!?

3)accentuation marquée de l'activité des masses :de plus en plus de grèves dans le public comme dans le privé;les transporteurs ,les marin pêcheurs,les enseignants,les personnels soignants;des multitudes de conflits dont les médias s'efforcent de ne pas parler en nous bassinant avec le sport,la façon de manger(alors que certains crèvent de faim)le festival de ceci de cela.

Oui la situation est tout à fait révolutionnaire,qui pourrait prétendre le contraire ?

En conclusion du texte de Lénine on peut dire qu'il nous dit: "toute situation révolutionnaire ne se traduit pas par une révolution car cette situation n'est pas ou mal exploitée,notamment par les Partis qui se réclament du communisme donc de la révolution" "l'avant garde n'est pas à la hauteur,n'est pas prête,sinon.."

Donc on a du pain sur la planche et,de plus,nous devons agir VITE, TRES VITE car de toutes façons cela va exploser,mais,il y a explosion et explosion !Si nous ,avant garde,ne sommes pas à la hauteur cela peut tout à fait virer à la guerre civile.Les ingrédients sont là et de plus en plus ; racisme avec les immigrés,les pauvres,ces gens qui se "la coule douce" pendant que d'autres travaillent pour eux,ses religieux prêts à en découdre avec une laïcité qui ne leur a fait perdre que trop d'argent et de pouvoir,les anti-avortement"laissez les vivre" contre les pro ..etc..

La sauce monte,à nous de faire en sorte qu'elle soit profitable aux classes laborieuses et non pas qu'elle sauve ,une fois de plus, la grande bourgeoisie.

Tout tient à ce que nous ferons de la situation révolutionnaire qu'est celle que nous vivons actuellement.

Nous sommes communistes,oui?Alors notre choix est fait,EN AVANT TOUTES ET TOUS ENSEMBLE!!!

Salutations révolutionnaires donc,communistes à toutes et tous.

François