mardi 2 décembre 2008
"Je ne veux pas que la crise coule mon île, l'Islande", par Björk
"Après dix-huit mois de tournée, j'étais très heureuse, il y a quelques semaines, de rentrer chez moi de retrouver le bon vieux sol islandais et de retrouver un peu de stabilité. J'avais donné un concert en Islande quelque temps plus tôt [fin juin] pour sensibiliser l'opinion publique sur les questions environnementales et 10 % de la population y avait assisté. Mais j'avais l'impression que ce n'était pas suffisant.
La principale ressource de l'Islande a longtemps été la pêche, mais, lorsque cette activité est devenue moins rentable, les gens ont commencé à chercher d'autres moyens de gagner leur vie.
Les conservateurs au pouvoir ont pensé qu'exploiter l'énergie naturelle de notre pays pour la vendre à des géants industriels comme Alcoa et Rio Tinto résoudrait le problème. Aujourd'hui, nous avons trois hauts-fourneaux pour produire de l'aluminium, les plus grands d'Europe, et il est question d'en construire deux de plus dans les trois prochaines années. Ces usines auront besoin d'énergie, et celle-ci devra être produite par de nouvelles centrales géothermiques et de nouveaux barrages, dont la construction défigurera notre beau paysage naturel.
Beaucoup d'Islandais s'opposent à la construction de ces hauts-fourneaux. Ils préfèrent continuer à créer des entreprises plus petites, qui leur appartiennent, et garder l'argent qu'ils gagnent. Ils se battent beaucoup pour cela. Ils ont notamment obtenu que le ministre de l'Environnement demande pour la première fois la réalisation d'une étude d'impact environnemental avant la construction de tout nouveau barrage ou haut-fourneau.
Puis la crise économique s'est abattue sur le pays. Les jeunes familles vivent sous la menace de perdre leur maison, et les plus âgés leur retraite. C'est une catastrophe. Il y a aussi beaucoup de colère. Les six principales sociétés de capital-risque du pays sont conspuées dans la rue, à la télévision et à la radio. Des voix furieuses exigent qu'elles vendent tous leurs avoirs et donnent l'argent à la nation. Nous avons appris que certains individus avaient emprunté des sommes colossales et les avaient emportées à l'étranger sans que les Islandais en soient informés. Et aujourd'hui c'est le pays qui doit les rembourser.
Ce qui met les gens en colère, c'est que ceux qui nous ont mis dans cette situation sont les mêmes que ceux qui essaient maintenant de nous en sortir. Beaucoup veulent que les actuels responsables politiques démissionnent et en laissent d'autres faire le ménage. Les critiques visent principalement Davíd Oddsson, qui s'est autodésigné président de la Banque centrale après dix-neuf ans au poste de maire de Reykjavík et treize ans à celui de Premier ministre [1991-2004]. La foule se rassemble dans le centre de Reykjavík une fois par semaine pour demander sa démission.
Miser sur le développement durable
D'habitude, je ne me préoccupe pas de politique. Je coule des jours heureux dans le monde de la musique. Mais je m'implique aujourd'hui parce que les politiciens semblent décidés à détruire la nature islandaise. J'ai lu la semaine dernière que, en raison de la crise, des députés islandais exerçaient des pressions pour passer outre l'étude d'impact environnemental et construire les barrages aussi vite que possible, afin de fournir à Alcoa et à Rio Tinto l'énergie dont ils ont besoin pour les deux nouvelles usines de production d'aluminium.
L'Islande est un petit pays. Nous avons raté le train de la révolution industrielle et j'espérais que nous sauterions complètement ce chapitre pour passer directement à des activités de pointe inscrites dans le développement durable. Avec ses bassins naturels d'eau chaude sur tout son territoire et sa nature pratiquement vierge (jusqu'à présent), l'Islande pourrait aisément devenir un grand spa de luxe où les gens viendraient soigner leurs blessures et se détendre… si le gouvernement décidait de consacrer son argent à soutenir ces projets plutôt qu'à servir Alcoa et Rio Tinto.
Il est important d'être souple : nous allons devoir vivre avec les trois hauts-fourneaux qui sont déjà là et essayer de les rendre moins polluants. Mais avons-nous besoin de cinq ? L'expérience nous a montré que placer tous nos œufs dans le même panier était beaucoup trop risqué, comme nous l'avons découvert lorsque nous tirions 70 % de nos revenus de la pêche. Aujourd'hui, nous sommes face à un désastre parce que nous avons tout misé sur la finance. Si nous construisons deux autres hauts-fourneaux, l'Islande deviendra la plus grande aluminerie du monde et ne sera plus connue que pour cela. Et, si le prix de l'aluminium vient à baisser – comme maintenant –, ce sera la catastrophe.
L'Islande peut être plus indépendante et plus créative, et continuer à avoir une démarche plus ancrée dans le XXIe siècle que dans le XIXe. Elle peut construire des barrages, mais moins nombreux, plus petits et plus écologiques. Utilisons cette crise économique pour adopter un comportement durable, apprendre au monde tout ce que nous savons sur les centrales géothermiques, soutenir les nouvelles entreprises islandaises et les gens ordinaires. Cela aidera l'Islande à continuer à faire ce qu'elle sait faire de mieux : être une belle, une pure force de la nature."
Source
Traduction trouvée sur le site de Michel Collon
Ps: Je confesse volontiers et par ailleurs être une "fan" de Melle Guðmundsdóttir tant en tant qu'actrice que chanteuse que créatrice, et rêver depuis longtemps de visiter l"Islande, terre de glace et de feu, à la civilisation ancienne et à la nature si sauvage... LL
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4 commentaires:
"L'Islande est confrontée à une catastrophe économique et sociale. Sa population de 300 000 personnes subit, plus qu’aucun autre pays avancé et de façon plus immédiate, l’impact de la crise financière mondiale.
C’est la raison pour laquelle ce qui est en train de se passer en Islande est un aperçu des évolutions qui vont inévitablement se produire dans des pays bien plus grands et sur la scène internationale.
Le système bancaire de l’Islande s’est effondré, plongeant l’économie toute entière dans un déclin qui va s’accélérant. En l’espace de sept jours au mois d’octobre, les trois principales banques du pays sont devenues insolvables et le gouvernement a été forcé d’intervenir pour les reprendre. Le gouvernement travailliste de Gordon Brown en Grande-Bretagne a eu recours aux lois anti-terroristes pour essayer de faire revenir de force les centaines de millions investis en Islande par des particuliers, des fonds de retraites d’entreprises, des municipalités, des associations caritatives et des forces de police. La plupart de ces investissements ne seront pas récupérés.
L’échelle colossale des pertes provient de ce que l’Islande a cherché à devenir un centre d’investissements spéculatifs internationaux, et ce en indexant les taux d’intérêt des banques à l’inflation qui dépassait les 15 pour cent. Les banques islandaises proposaient des taux d’intérêt souvent supérieurs de 50 pour cent aux taux disponibles ailleurs.
A leur apogée, les banques islandaises détenaient des avoirs étrangers équivalant à dix fois le produit intérieur brut (PIB) du pays, avec la majorité de ces investissements fondés sur des prêts internationaux. Cela représentait une énorme bulle spéculative reposant sur une pyramide de dettes non viables.
L’Islande est effectivement en faillite et incapable de rembourser ses dettes colossales. Les pertes subies par ses créditeurs étrangers sont estimées à plus de 40 milliards de dollars. Icesave, la banque en ligne de Landsbanki par exemple a attiré plus de 6,75 milliards de dollars d’investissements du Royaume Uni et 1,5 milliards des Pays-Bas. Ces deux pays exigent que ces sommes leur soient retournées, mais il s’agit d’une dette plus élevée que la totalité du PIB de l’Islande. Comme l’a fait remarquer Jon Danielsson, directeur d’études à la London School of Economics, « En comparaison, le montant total des réparations exigées de l’Allemagne à la fin de la Première guerre mondiale tournait autour de 85 pour cent de son PIB. »
L’Islande n’a évité le défaut de paiement que par l’obtention de 10 milliards de dollars d’aide financière. Un prêt de 2,1 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI) lui a été accordé. C’est la première fois qu’un pays développé reçoit une telle aide, depuis la Grande-Bretagne en 1976. Cela va s’accompagner d’exigences de « programmes d’ajustements structurels » du type subi par de nombreux pays pauvres d’Afrique et d’Asie de façon à ce que les dettes mondiales puissent être « administrées. » De plus, La Suède, la Norvège, le Danemark et la Finlande ont prêté 2,5 milliards de dollars, ainsi que des prêts supplémentaires accordés par d’autres pays européens qui craignent l’impact d’un effondrement économique total.
L’économie est en train de s’effondrer. En termes de monnaie circulant dans le pays le PIB s’est contracté de 15 pour cent, mais du fait de l’effondrement de la valeur de la couronne islandaise cela représente 65 pour cent en euros. La monnaie islandaise est quasiment impossible à échanger internationalement. La valeur de la couronne a diminué de moitié et l’inflation atteint 17,1 pour cent et augmente de 1,74 pour cent chaque mois. Le prix des produits essentiels a grimpé encore plus vite, dont les prix de l’alimentation de 30 pour cent.
Chaque jour des entreprises mettent la clé sous la porte et des milliers de travailleurs sont licenciés. On pense qu’environ un tiers de la population a perdu la totalité ou la plus grande part de ses économies. La situation est si mauvaise que dans les sondages un tiers des sondés disent songer à émigrer. De nombreux jeunes, qualifiés, sont déjà partis.
C’est dans ce contexte qu’ont lieu les protestations politiques qui se tiennent régulièrement dans la capitale Reykjavik et qui sont dirigées contre le gouvernement de coalition du Parti de l’Indépendance et de l’Alliance sociale démocrate ainsi que contre le FMI.
L’inquiétude est palpable au sein des médias et des cercles dirigeants quant à l’avenir de l’Islande. Max Keiser a écrit dans le Huffington Post, « Qui aurait pu prévoir une révolution en Islande? »
Il rapporte comment un peu plus tôt, « J’ai demandé au responsable de la recherche à la banque Kaupthing si lorsque la bulle de la dette mondiale exploserait, les gens pourraient ‘se soulever’ avec colère comme ils l’avaient fait en France dans les années 1780. La question l’avait fait rire. Aujourd’hui les Islandais appellent à la révolution, au sens littéral. »
Le journal économique Fall Street.com pose lui aussi la question, « Qui aurait jamais imaginé que l’Islande serait quasiment dans une situation d’anarchie économique et de révolution ? »
Néanmoins, les craintes s’étendent bien au-delà du destin économique et politique de l’Islande. Danielsson insiste pour dire que, « Il est nécessaire que les dirigeants européens prennent de toute urgence des mesures pour empêcher que des choses similaires ne se produisent dans de petits pays ayant un secteur bancaire important. »
La Hongrie a déjà négocié un emprunt de 16 milliards de dollars auprès du FMI et de 8 milliards auprès de l’Union européenne, ce qui requiert des coupes budgétaires massives dans les services, les emplois et les retraites, et requiert aussi le gel des salaires des travailleurs et la perte de leur bonus annuel s’élevant à 8 pour cent de leur salaire. L’Ukraine s’est vu accorder un prêt de 16,5 milliards de dollars par le FMI et la Biélorussie, la Serbie, la Roumanie, la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie seraient activement à la recherche de prêts.
On prédit que l’Irlande va suivre le même parcours que l’Islande. All News Web Ireland déclare que « Il y a de fortes chances que l’Irlande soit le prochain pays d’Europe à subir une grosse dégringolade. ‘Le marché irlandais de l’immobilier est excessivement cher et le niveau des dettes ici crève le plafond : Les gens commencent à se rendre compte que les maisons ça ne se mange pas, et les investissements américains commencent à se tarir, la bulle va éclater’ argumente Sean McCarthy, conseiller financier dans le secteur bancaire irlandais. ‘Quand la bulle de l’immobilier va vraiment se dégonfler ici et que la panique va prendre le dessus, alors que dieu vienne en aide à l’Irlande.’ »
Le blog d’investissement Credit Writedowns fait remarquer que alors que « l’Irlande était le premier pays à proposer des garanties à tous ses déposants, » le « pays a un secteur financier colossal qu’il n’est pas possible au gouvernement irlandais de garantir. » De ce fait, « Il reste à voir s’il existe un courant souterrain de panique quant à la fragilité du système bancaire irlandais qui pourrait conduire le pays au même destin que celui de l’Islande. »
De plus, la peur de voir les faillites nationales conduire à des troubles politiques et sociaux ne se limite pas aux petits pays. Il y a de sérieuses discussions concernant la possibilité d’un destin similaire touchant la cinquième économie plus importante, le Royaume-Uni.
Patrick Hosking a posé la question suivante dans le numéro de Times du 22 octobre, « La Grande-Bretagne est-elle juste une version plus grande de l’Islande? La City de Londres commence assurément à ressembler un peu trop à Reykjavik, mais avec des bâtiments plus grands et un peu moins de morue… Dans les faits, les banques du pays sont en grande partie en faillite. Le plan de sauvetage de 500 milliards de livres du gouvernement a pour but principal non pas de faire que les banques continuent de prêter aux petites entreprises et aux particuliers qui veulent devenir propriétaires, mais d’éviter une calamité financière inimaginable. »
Hosking conclut par un avertissement sinistre: « Les banques fournissent les fondations et la plomberie de toute l’économie. Une perte de confiance en elles pourrait encore faire s’effondrer la totalité de l’édifice capitaliste… Au risque de sembler hyperbolique, nous ne devrions pas nous inquiéter de savoir si ce sera un Noël maigre pour les commerçants (ce sera le cas), mais si la Grande-Bretagne et l’Occident sont sur le point de plonger dans une période économique ténébreuse qui durera des années et s’accompagnera d’un chômage de masse et d’agitation sociale. »
C’est cette compréhension des implications de la crise économique mondiale actuelle qui doit à présent commencer à informer et animer la renaissance politique du mouvement ouvrier internationalement et sa réorientation sur un programme socialiste en vue d’abolir le système capitaliste. Michael Mardsen"
Source: http://www.wsws.org/francais/News/2008/dec08/isla-d02.shtml
(Et oui -- le WSWS!! Encore une PREUVE SUPPLÉMENTAIRE pour les petits malins qui racontent que je suis une trotskiste du PS infiltrée dans "le mouvement communiste" :-)... Je suis sympa, je vous mâche le travail... LL)
Islande - Une île à la dérive
L’Islande était l’un des pays les plus riches au monde. La crise financière l’a fauchée en plein essor. La faute à ses banques, qui ont fait preuve d’une invraisemblable imprudence. Aujourd’hui, l’Islande est sonnée. Reportage.
"Pas ça ! Pas là ! L’Islande en faillite ? Impossible ! Comme si l’île luthérienne perdue dans les brumes du Nord était devenue une république bananière. A La Perle, le grand restaurant à coupole panoramique qui domine Reykjavik, la plupart des tables sont vides. La petite ville bruit de toutes sortes de rumeurs. Un jour, redoutant une augmentation de la taxe sur l’alcool, les épiceries sont prises d’assaut. Un autre, il est question d’un Italien qui rachète par dizaines des 4 x 4 presque neufs pour les revendre à l’étranger. Et puis il y a cette maudite couronne, la monnaie islandaise, qui n’est plus convertible. Au point que les étudiants islandais à Séoul ou à Copenhague n’ont plus de quoi vivre. A Londres, l’ambassade d’Islande offre du poisson à ses concitoyens... On rêve, ou on cauchemarde, c’est selon. L’Islande, l’un des pays les plus riches au monde, en train de se prolétariser ! Mais que s’est-il donc passé ?
« Nous sommes devenus fous, résume à sa manière Stefan Olafsson, professeur de sociologie à l’Université d’Islande, dont les bâtiments massifs jurent avec les maisonnettes aux couleurs vives de la capitale. Moi aussi, alors que je ne demandais rien, on m’a proposé des crédits pour racheter une maison. J’ai refusé. » Evitant ainsi de se retrouver piégé comme aujourd’hui nombre de ses compatriotes qui ont acheté des voitures ou des logements. Il n’y a pas si longtemps, les trois grandes banques islandaises (Kaupthing, Landsbanki, Glitnir) proposaient des crédits libellés dans un cocktail de monnaies étrangères (yens, euros, francs suisses...). Etrange ? Les banquiers faisaient valoir que les prêts en devises supportaient des taux d’intérêt bien moindres que les prêts en couronnes. Tout à gagner, donc ! A une condition : que la couronne islandaise conserve son statut de monnaie forte.
Mais qui pouvait en douter ? L’Islande semblait d’une solidité à toute épreuve. Et vendait même les recettes de sa réussite. « Notre grande force réside dans notre haut niveau d’éducation et dans la faculté de notre main-d’oeuvre à s’adapter aux changements technologiques et à la mondialisation. » C’est David Oddsson qui s’exprimait ainsi, le 27 avril 2004, devant un parterre d’universitaires rassemblés à Oxford, en Angleterre. Oddsson, 60 ans, n’est pas n’importe qui. C’est lui l’artisan du miracle islandais, enfin, de l’ex-miracle. Aujourd’hui gouverneur de la Banque centrale d’Islande, il a été Premier ministre de 1991 à 2004, un record de longévité. Avant cela il avait été maire de la capitale pendant neuf ans (c’est à lui qu’on doit La Perle). Sous les latitudes islandaises, on pourrait penser qu’Oddsson est un des ces sociaux-démocrates qui réussit à allier marché et sécurité. Eh bien, pas du tout !
Dans les années 80, le jeune acteur devenu avocat avait organisé la visite en Islande de trois grands maîtres de la pensée libérale : les Américains Milton Friedman et James Buchanan, qui régnaient à Chicago, ainsi que Friedrich Hayek, fondateur de l’Ecole autrichienne et auteur de la bible du libéralisme, « La route de la servitude ». Voilà donc les inspirateurs de cet étrange Viking. Une fois au pouvoir, le leader du Parti de l’indépendance (centre droit) est vite passé aux travaux pratiques. Sans la brutalité d’une Thatcher, mais, comme elle, en baissant les impôts, en réduisant l’emprise de l’Etat et en ouvrant le pays.
Longtemps adulé, Oddsson vit aujourd’hui barricadé, à deux pas du port de Reykjavik, dans le cube noir qui abrite la Banque centrale. Lui, le bon Dieu, est devenu le diable. Chaque samedi après-midi, dans le square qui fait face au bâtiment de pierres du Parlement (l’Alpingi), des manifestants se réunissent. Il y a bien des oeufs qui s’écrasent sur la façade, mais tout ça reste bon enfant. Beaucoup de manifestants viennent avec leur progéniture dans la poussette et discutent en passant de groupe en groupe au milieu de pancartes protestant contre la corruption et demandant le départ d’Oddsson. « Les Islandais sont en colère, explique le professeur Olafsson. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. » Il y a de quoi, car ils tombent de haut. Croissance, plein-emploi, boom des salaires, excédent budgétaire, tout allait si bien jusqu’à ce que... Jusqu’à ce que les banques islandaises échappent à tout contrôle. Privatisées par les soins d’Oddsson il y a quatre ou cinq ans, elles se sont développées trop vite, laissant de côté les critères élémentaires de sécurité.
« comme à l’abattoir »
Un seul chiffre : avant la crise qui a éclaté en septembre, les engagements des trois grandes banques (90 % du marché) équivalaient à dix fois le PIB du pays. Les banquiers, alertés dès 2005 par des analystes, ont bien réalisé que leurs dépôts ne suffiraient pas à garantir l’énorme pyramide de crédits. Comme ils ne pouvaient pas en obtenir davantage de la petite population insulaire (320 000 habitants), ils sont allés à l’étranger. La Landsbanki, notamment, a ouvert une banque par Internet, Icesave, avec des filiales en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Cela n’a pas suffi. La crise financière et la chute de Lehman Brothers, en gelant les crédits entre banques, ont fait exploser le système islandais.
Kjartan Hanksson, 38 ans, en costume cravate, est assis dans une salle de réunion du syndicat bancaire installé à l’écart du centre-ville, non loin de l’autoroute centrale. Il fait partie des 500 à 600 employés qui ont été licenciés le mois dernier. Lui travaillait au siège de la Landsbanki, situé à deux pas du Parlement et de la modeste maison blanche qui abrite le Premier ministre, Geir Hilmar Haarde. Hanksson n’oubliera jamais le 4 octobre. « C’était comme à l’abattoir. » En arrivant le matin, on l’avait averti qu’il serait convoqué dans la journée pour connaître son sort. Il a dû endurer de 8 heures à 17 heures le défilé des collègues à qui la direction donnait son verdict. « J’avais une chance sur deux de rester. » Pour lui, malheureusement, le couperet est tombé. « C’était difficile à imaginer, car le dernier rapport semestriel de la banque ne mentionnait rien d’alarmant. » Et parce que le chômage, surtout pour les banquiers, qui pendant des années ont tenu le haut du pavé, n’existait pas.
Gordon brown se fâche
Pendant ce temps, à la tête de la Banque centrale, dont les réserves (2 milliards de dollars) ne sont pas à la mesure du passif des banques (100 milliards), Oddsson observe, impuissant, son oeuvre qui part en capilotade. En quelques jours, fin septembre-début octobre, les trois grandes banques ont été nationalisées. Les nouveaux dirigeants ont pour mission de rétablir les circuits de crédit à l’intérieur. Pour l’étranger, on verra... On a tout vu. Début octobre, Oddsson, sortant exceptionnellement de sa réserve en accordant une interview à la télé, a déclenché une crise ouverte. Il a laissé entendre que les banques islandaises n’honoreraient pas leurs engagements à l’étranger. Gordon Brown, le Premier ministre britannique, a très mal pris la chose. Il a carrément gelé les dépôts des banques islandaises en Grande-Bretagne (y compris ceux des 300 000 clients d’Icesave) en excipant d’une loi antiterroriste de 2001 destinée à lutter contre Al-Qaeda. Les Islandais n’ont pas digéré. Ici et là dans la capitale, des affiches conspuent Brown. Un site Internet (indefence.is) canalise les mécontents sur le thème « Nous ne sommes pas des terroristes ».
« Les Britanniques veulent nous faire payer la guerre de la morue » qui avait opposé les deux pays dans les années 70. Asgeir Jonsson travaille à la banque Kaupthing. Lui a sauvé son job. Mais il se sent un peu seul. Il n’y a aucune animation dans les couloirs déserts de la banque. On dirait que le temps s’est arrêté. S’en prendre aux Britanniques, comme il le fait avec une large partie de la population, est un peu facile. C’est une manière commode d’évacuer les responsabilités des Islandais. Et d’oublier qu’il y a peu encore le pays tout entier était fier de son sort et de sa fortune. « Nous étions comme des enfants dans une boutique de bonbons », s’amuse Frederick Raffsson, éditeur et animateur d’un site Web.
On célébrait « le triomphe de l’esprit viking » : un gratuit de Reykjavik publie ces jours-ci, fort vicieusement, un discours prononcé le 3 mai 2005 devant un club d’hommes d’affaires à Londres par le président islandais. Olafur Ragnar Grimsson ne trouvait alors pas suffisamment de mots pour glorifier la nouvelle saga de son peuple. Un peu étonnant, cet enthousiasme, de la part d’un homme classé à gauche et ennemi juré d’Oddsson. Mais très révélatrice en même temps de l’unanimité qui entourait l’enrichissement de la petite nation. Le président lui-même est un peu bling-bling. Il a fait un beau remariage avec Dorrit Moussaieff, née à Jérusalem, élevée à Londres et héritière d’une famille de diamantaires originaire de Boukhara, en Ouzbékistan. La population se délecte de l’accent de la première dame, par ailleurs très populaire. Dans son fameux discours, le président évoquait pas moins de douze raisons (nous vous les épargnerons...) expliquant les succès économiques des « nouveaux Vikings » , comme sont surnommés la petite poignée d’entre eux vivant entre Reykjavik, Londres et New York, qu’ils relient à bord de jets privés. Ils ont investi 5 milliards de dollars à l’étranger et emploient 100 000 personnes. Achetant des boutiques à Londres et même un club de foot (West Ham), les saumons et foies gras Labeyrie en France, une chaîne de pharmacies en Lituanie, un grand magasin à Copenhague... La faillite des banques islandaises qui les ont accompagnés dans ces raids n’arrangent pas leurs affaires. Même s’ils ne sont pas les plus mal lotis.
« on va revenir au marché noir »
« Je vais fermer la boutique, je n’ai plus le choix. » John Meunier, 32 ans, est en colère : « Les politiques ne nous disent rien. Et pendant ce temps les banques me harcèlent. » Voilà un an, il a ouvert sur Laugavegur, artère marchande de la capitale, un magasin d’articles de mode, vêtements, sacs... tous importés. Ce qui n’est pas vraiment recommandé par les temps qui courent : pour obtenir des devises, les Islandais, qui ne connaissent même plus le cours de leur monnaie, doivent déposer une demande à la Banque centrale, qui donne la priorité aux achats à l’étranger de nourriture, de médicaments et de pétrole. Pas de chance pour John, à qui ses fournisseurs, au Japon, en France, en Italie, ne veulent plus faire crédit. « On va revenir au marché noir », dit-il. Ecoeuré, il parle de s’installer en Inde... Hanksson, le banquier au chômage, n’exclut pas, lui non plus, s’il ne retrouve pas de job, de partir pour Copenhague (sa femme est danoise), où il a commencé sa carrière après avoir décroché un master de finance. « J’ai déjà renoncé aux vacances en Italie et le dimanche, au lieu de boire une excellente bouteille de vin, je me contenterai du tout-venant. »
Les Islandais ne se font plus d’illusions. La Bourse s’est effondrée et une partie de leurs retraites avec. Le FMI, appelé à l’aide, parle pour 2009 d’une récession qui atteindrait 10 % ! Un vrai cataclysme. Le déficit budgétaire grimperait à 10 % du PIB et la dette publique, jusqu’ici contenue, à 100 % du PIB. Après la banque, le bâtiment commence à trinquer. Les nombreuses grues de la capitale tournent au ralenti. Le chômage, quasi inexistant aujourd’hui, pourrait grimper à 7-8 %.
« Tous les cochons ne sont pas gros », proclame la pancarte d’un jeune manifestant qui piétine devant le Parlement. Les Islandais, asphyxiés par des échéances de remboursement d’emprunt qui s’envolent, sont révoltés par les bonus que touchaient les banquiers. Ils le sont plus encore par les révélations, vraies ou fausses, de détournements de fonds. On leur dit même que les banques islandaises auraient spéculé contre la couronne, qui a perdu plus de 70 % de sa valeur.
« La crise n’est pas seulement économique, elle est morale », explique Egill Helgason dans un petit café en face de la demeure du Premier ministre. Grand sourire, barbe en broussaille, tout le monde le connaît. En plus d’une émission littéraire le mercredi, il présente tous les dimanche à 12 h 30, sur la télévision nationale, l’émission politique la plus populaire. « Tout s’écroule, dit-il. La confiance s’est envolée. » Les politiques sont démonétisés. Les Islandais, pour se rassurer, se tournent vers la pêche, le tourisme, les ressources naturelles en énergie... « La pêche va nous aider à trouver la sortie », se réjouit Hjörtur Gislason, 50 ans, qui possède deux navires-usines. Tout irait bien pour lui s’il pouvait rapatrier d’Angleterre le produit de ses ventes de poissons, gelé par les banques.
Pas joué
« Les Islandais ont beaucoup d’atouts, dit un Français installé à Reykjavik, mais ils n’ont plus un rond. » Et puis, que va exiger le FMI pour donner son feu vert à un prêt de 10 milliards d’euros ? Une épreuve, ces négociations, pour les Islandais. Depuis des lustres farouchement indépendants, ils refusent l’Europe et l’euro, fidèles en cela aux positions de leur ancien guide Oddsson. Aujourd’hui, certains, même dans la coalition gouvernementale, commencent à le regretter. « Pas question d’entrer dans l’Europe tant que nous serons en position de faiblesse », nous affirme pourtant le Premier ministre, Haarde, 57 ans et des airs de Droopy, dans sa petite résidence en bordure du grand étang qui baigne le centre de la ville. « Le FMI ne nous présente rien d’humiliant », dit-il comme pour s’en convaincre-même s’il a déjà exigé de porter les taux d’intérêt à 18 % ! Comme Oddsson, son mentor, le Premier ministre reste hostile à l’Union. Et peut compter sur le soutien indéfectible des pêcheurs. Steingrimur Sigfusson, 53 ans, le leader de l’opposition (la gauche Verte), réclame, lui, « une revue complète de ce qui s’est passé » et des élections anticipées. Comme une majorité de ses compatriotes, il cherche une issue à la crise en s’inspirant des pays nordiques ( « Nous sommes encore très loin de leur modèle » ). Il est en phase avec le discours de la chanteuse Björk, la célébrité du pays. « Elle n’a pas de carte de parti, mais je pense qu’elle vote pour nous. » Bien que Björk ne milite pour aucun parti, le pays l’écoute. Même ces jeunes qui, tous les vendredis et tous les samedis, s’apostrophent, flirtent et font du chahut dans les rues de Reyjkavik jusque tard dans la nuit en buvant force Gull, la bière locale. En souvenir du bon vieux temps... "
http://www.lepoint.fr/actualites-economie/une-ile-a-la-derive/916/0/295231
L'argent est une drogue, les capitalistes des toxicomanes.
Salut Elodie,
Superbe article sur l'Islande,tu as fait un boulot génial,vraiment.
En plus avec la "photo"qui illustre cet article...là on a vraiment envie de s'y "étendre"...pas toi?Ah bon.
Sérieusement, c'est pas le petit truc qui se passe là-bas,c'est pour le moins,très grave.
Toi,je ne sais pas mais de mon côté à la télé,la radio RIEN,aucune information sur le sujet...bizarre non?
Ces fumiers de banquiers se croient vraiment tout permis.En même temps c'est un peu vrai puisqu'on en arrive là et,qu'en plus on(l'Etat)leur refile du fric pour recommencer.Je ne sais pas trop comment ça va se passer en Islande mais ce sera sûrement ça,malheureusement.
Il faut vraiment une forte mobilisation car les habitants vont tout perdre,ils vont vers une misère programmée,ils ne peuvent pas accepter ça sans rien dire,sans se battre.
De même qu'ils doivent refuser catégoriquement que leur île si splendide,bijou naturel ne devienne une aluminerie.On n'ose imaginer cette beauté naturelle devenir une gigantesque fabrique créant de la poussière noire et de la fumée la recouvrant complètement.Ce serait un crime,purement et simplement que,nom seulement les Islandais mais tout le monde doit refuser.
En tous cas je souhaite bon courage aux habitants victimes de ces ignominies et les assure de mon soutien total.
Fraternellement à toutes et tous.
François
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